samedi 23 mars 2024

Mémoire de "S" (archive)

 


 

 

 dimanche 21 mai 2023
L'intelligence des mains, et leurs limite
s





Moi qui suis à "S" depuis quelques temps déjà, je regarde et me souviens de tous ces moments où j'ai mouillé la chemise, piquant là des joints de pierres, en remontant ici ; cette porte toute déglinguée qu'il m'a fallu refaire, et que je tiens encore pour mon chef-d'œuvre. J'ai passé plusieurs soirées à cogiter la chose, prenant des notes, révisant les étapes plusieurs fois. Et je me suis lancé. Ça m'a pris deux grosses journées, j'habitais la maison ouverte à qui le voulait, on aurait pu me trucider pendant la nuit sans aucun problème : ma porte était en soins intensifs au clair de lune. Le jour de sa réinstallation j'ai dû me rendre à l'évidence : j'avais fait du solide, mais aussi du beaucoup plus lourd. Seul, il m'était impossible de la remettre sur ses gonds. J'ai appelé mon voisin.

Il regardait ma porte, étendue sur les tréteaux.

- mais tu es sûr qu'elle...

- écoute, tout va très bien se passer. J'ai juste besoin de tes bras, dans dix minutes c'est fini.

- t'es bien sûr de toi ! Je suis vieux tu sais ! Je ne pourrais pas la soulever 36 fois !

- nous allons faire comme ça.

Elle a glissé dans ses gonds, je l'ai faite pivoter pour voir. Il n'y avait pas un millimètre à reprendre. Sans un grincement, dans une rotation douce et mate, elle retrouvait sa fonction initiale : ouvert /fermé.

Il n'y a rien de plus gratifiant que le travail des mains (les guitaristes ou les pianistes en savent quelque-chose...) .

Moi, quand je remontais des pierres, je n'y étais pour personne, concentré sur mes verticales, mes horizontales, le choix du bon cailloux que j'allais placer là, qui voisinerait avec cet autre, peut-être pour mille ans, la "colle" qu'il ne fallait pas laisser se dessécher dans la gamate.

Et le soir, béat, je regardais mon mur jusqu'à l'épuisement...

De tous ces travaux, indispensables dans une maison de campagne, il en est un des plus rebutant, des plus pénibles : le debroussaillage. Certes, là encore, quand après des heures passées avec le bruit de la bécane, le dos éreinté, des acouphènes plein la tête, mille impacts de projections sur les guiboles, tu regardes ces mètres carrés rendus à la civilisation, t'es plutôt content de toi...

Mais les ronces... Les ronces...

À moins de défoncer le terrain à la pioche, le retourner sur un mètre de profondeur, l'arroser d'hectolitres de glyphosate, et encore, et encore !... elles ricanent les ronces...

- Vous savez quoi ?

- Non, dis-nous

- il paraît que le parigot est parti.

- Non... Encore ?

- oui... On l'aurait vu prendre l'autocar pour Montélimar, avec sa petite valise à roulettes. Le train pour Paris de 17h47, avec un changement de 30 minutes à Lyon-Perrache...

- 30 minutes !!! Ah le con !

Sont assez moqueuses les ronces...

Et que, mine de rien, trois fois rien, je te refasse vite fait bien fait un petit bourgeon...

À la fin ce sont toujours les ronces qui gagnent.


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Mais en gens bien élevés tout de même...