Je revois tante Mathilde sur le seuil de ciment, avec un grand sourire de joie, essuyant ses mains ménagères à son tablier de coutil. Y avait mon papa dans ce temps-là ; pas tellement joyce de se pointer chez Dugadin, mais faisant bonne figure pour ne pas contrister maman. Le vieux Tom ne se trouvait jamais là. À croire qu'il n'habitait pas sa ferme. Il surgissait d'ailleurs, toujours : de l'écurie, du hangar, du potager, d'un sentier qu'on avait pas remarqué entre les hautes touffes d'ortie.
Je vais retrouver cette odeur de cellier et de vieux bois, de javel aussi, car tante Mathilde, avant de balayer, arrosait toujours le sol avec avec un gros entonnoir à anse contenant une lotion javellisée. Elle décrivait des 8 à n'en plus finir, qui se superposaient et se substituaient longtemps sur le rude plancher. Ah ! Mes ombres ! Personnages de ma petite enfance dont je traîne le deuil sur les rivages de la vie, pareil à une vieille veuve bretonne qui s'obstine à regarder la mer
Frédéric Dard, "Le casse de l'oncle Tom", 1987.
L'autre jour il faisait beau. Alors je suis parti prendre un rayon de soleil sur un banc du square voisin, avec un livre sous le bras. Une activité de presque vieux que je deviens. Le livre c'était un vieux San-A déniché dans ma bibliothèque: le casse de l'oncle Tom daté de 1987. San-Antonio faisait mes délices de jeune homme, quand je prenais le train Corail pour une destination ou une autre. À 40 années de distance, je l'ai retrouvé avec plaisir, le trouble dans l'entrejambe en moins. Mais là n'est pas la question. Relire l'un de ces vieux romans de gare c'est mesurer à quel point nous avons changé d'époque. Plus rien des lignes que je parcourais ne pourrait s'écrire aujourd'hui. Trop de sexisme bon enfant, trop de plaisanteries à connotation raciales, plus personne je crois ne publierait Frédéric Dard de nos jours. Aussi je tiens ces petits romans dérisoires comme autant de biens précieux. Et pourtant, en cette année 1987, il en fait des efforts Frédéric Dard! Il intègre à son équipe, au grand désarroi de Béru, monsieur Blanc, sénégalais, balayeur de son état, dont la mission jusqu'alors était de conserver propres les trottoirs autour de Saint-Sulpice, et qui va s'avérer un excellent flic.
Je crains malgré tout que cela soit bien insuffisant pour le faire entrer en odeur de sainteté auprès d'une Sandrine Rousseau.
Quoi qu'il en soit, si vous traînez sur les vide-greniers, surveillez bien les bacs à livres et achetez tous les San-Antonio que vous pourrez y trouver : je suis certain que vous ferez un bon placement.
PS : ceci n'est pas une archive.
J'ai lu tous les San-Antonio (avec trait d'union, bordel !), dont beaucoup dans des trains, Corail ou non. La qualité a commencé à fléchir justement quand est apparu Jérémie Blanc, qui n'a jamais réussi à "prendre" comme personnage, à acquérir la stature d'un Bérurier ou d'un Pinaud. Et la dégringolade s'est poursuivie et aggravée, puisque, plus tard, Dard s'est cru obligé de flanquer son commissaire d'un chien doué de la parole…
RépondreSupprimerJe ne relirai jamais aucun San-A. : trop peur de tomber de haut. D'ailleurs, il y a une dizaine d'années, ils sont tous partis à la déchetterie…
Eh bien je me demande si ce casse de l'oncle Tom n'est pas le dernier que j'ai acheté... Me souviens pas d'un San-A affublé d'un clebs... Un Bebel sur le retour San-A ? Vous n'y pensez pas !
SupprimerEnfin du nouveau... du beau joli nouveau...
RépondreSupprimerla nostalgie et les regrets, ça eut payé... mais juste un temps.
bedeau
Le temps d'une sauvegarde, du temps où tout cela m'amusait encore.
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