lundi 25 mars 2024

Tonton et moi (archive)

 


 

 

 dimanche 9 mai 2021
Tonton et moi

 

 

Hier soir LCP diffusait un documentaire retraçant la carrière de François Mitterrand, cet homme de droite qui se fit élire à gauche. Certains des intervenants étant morts depuis belle lurette, je pense que ce roman télévisuel datait un peu. Mais il m'a replongé dans ma vie personnelle. C'est que, voyez-vous, je lui dois rien de moins que ma carrière professionnelle.

Notre histoire à tous les deux commence en 1981, année où je vais pour la première fois exercer mon droit de vote. J'ai alors 20 ans et je vais glisser dans l'urne un bulletin pour lui, juste avant d'atterrir dans une infirmerie militaire de Perpignan, cloué au lit, car je viens de recevoir toute une batterie de vaccins avant de m'envoler pour deux ans vers la Martinique et le 33è RIMA de Fort Desaix, et je suis raplapla, j'ai la fièvre. Dans une forme d'ingratitude, c'est la seule fois que je voterais à gauche. Il faut dire que ma culture politique était alors en friche, en jachère, attendait d'être ensemencée. Et pourtant, c'est bien à lui que je dois d'avoir gravis un jour les marches des Studios des Buttes-Chaumont, à lui et son vaste programme d'embauche des jeunes au début de son premier septennat.

Je me souviens encore de ce jour de juin et des mots de celui qui allait me faire signer mon premier contrat de travail. C'était un homme fort, à lunettes carrées, en costume et cravate noirs. J'étais devant son bureau, un peu intimidé. Il tapotait du plat de la main les maigres diplômes que je venais de lui présenter, me posait quelques questions d'ordre général. Il me dit :

- nous sommes en juin, l'activité va considérablement ralentir. Mais revenez me voir en septembre et je vous mettrais au chaud.

Et voilà comment en 1983 je me suis retrouvé à arpenter le plateau des Carpentier, ceux du Grand Échiquier et de Droit de Réponse. Il y avait aussi ce plateau que l'on atteignait en traversant les ateliers de "prémontage", d'où était diffusé en direct ce que l'on appelait "les dramatiques", dans des décors finis parfois quelques minutes seulement avant la prise d'antenne, la peinture à peine sèche. La télévision à cette époque était une forme de service public, financée par l'impôt et de rares pages de publicité. Y entrer c'était la garantie d'un emploi à vie.

Puis vinrent les années 90, les nouvelles chaînes, la privatisation de TFI. Le nouveau marché avait besoin, sinon de talents, de compétences. Ce fut le grand débauchage, l'hémorragie de ce que la télévision publique comptait de meilleurs. L'argent semblait inépuisable. Le nouveau monde offrait des salaires attractifs, une façon de travailler très libérale qui faisait passer la SFP pour une relique archaïque. Les salariés les plus vieux, (55 - 56 ans), furent mis en retraite anticipée avec de généreuses indemnités. Les plus jeunes furent recasés dans ce qui subsistait du service public. Bientôt les studios furent rasés, le terrain libéré livré aux promoteurs. À mon humble niveau, je pris aussi la tangente.

 1995. Mon frère (paix à son âme) est sur les toits du palais de l'Élysée, derrière une caméra. Sa mission : filmer l'arrivée de Jacques Chirac qui vient prendre possession des lieux. Moi, je suis dans les jardins. Il est aux alentours de midi, c'est la pause déjeuner. Je suis seul ou presque, affairé aux derniers réglages de la machine qui filmera d'ici.  

Il existe dans les archives télévisuelles une scène où l'on voit Mitterrand se promener à cette heure avec une personne que je n'ai jamais su identifier. À un moment, il lève la main en direction de quelqu'un. C'est à moi qu'il adresse ce salut.

Quelques mois plus tard je suis à Jarnac.

Le monde entier s'est donné rendez-vous à Jarnac. Les hôtels sont complets, la moindre paillasse sous une comble se loue à prix d'or. Dans le petit cimetière des visages jusqu'alors quasi inconnus font leur apparition. "Une messe est possible". Dans le même temps, à Paris, une messe est dite à Notre-Dame-de-Paris en mémoire du président socialiste.

 Voilà ce que fut ma relation, à la fois lointaine et privilégiée, à M. François Mitterrand, icône très discutable, mais néanmoins estimable, d'une gauche aujourd'hui disparue.

Sans son élection, il est probable que mon destin eût été très différent.

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Mais en gens bien élevés tout de même...