samedi 30 mars 2024

Elle et moi




Ce n'est pourtant pas moi qui lui change sa litière, lui remplis sa gamelle, la brosse tous les matins. 

Et pourtant... 

Et pourtant c'est dans le creux de mes jambes qu'elle vient se blottir et ronronner le soir, au grand dam de ma belle.

Plus que sa tambouille, elle aime mes caresses. 

jeudi 28 mars 2024

L'argent des pauvres





Ah la bonne idée que voilà ! L'idée de génie ! Il n'y a plus de thunes dans les caisses ? Allons piquer l'argent des chômeurs ! Même ceux de plus de 55 ans que les entreprises s'arrachent comme chacun sait ! Celui des malades de longue durée !

Remarquez que l'idée n'est pas nouvelle. Depuis Alphonse Allais nous savons qu'il faut toujours aller chercher l'argent là où il se trouve : chez les pauvres.

Il faut redonner aux gens le goût du travail, prendre exemple sur l'Allemagne. L'Allemagne ? Excellent exemple ! L'Allemagne est ce pays qui n'a pas délocalisé ses entreprises (elle commence seulement à le faire en raison du coût de l'énergie). L'Allemagne est ce pays qui n'a pas désindustrialisé, qui a donc encore des jobs à proposer et même mieux que des jobs. En comparaison notre économie fait pâle figure... tout le monde ne pourra pas faire la plonge dans les arrière-salles des restaurants. Sans compter que ces boulots, comme ceux du bâtiment, bien ingrats, sont déjà préemptés. 

Pouvait-on imaginer d'autres pistes, comme réduire le coût de l'immigration ? Faire en sorte que la France ne soit plus l'hôpital du monde ? Que n'importe qui débarquant à Roissy ait les mêmes droits qu'un Français ? Vous n'y pensez pas ! Nous avons des valeurs !

Non, décidément il est beaucoup plus simple d'appauvrir toujours plus les Français qui n'en peuvent mais.

Jusqu'où ? 

mardi 26 mars 2024

De l'Hôtel de Soubise à anatomie d'une chute



Ce dimanche dernier, ma belle et moi, parcourions les rues du très gay-friendly quartier du Marais. Nous sommes entrés aux Archives, aussi appelé hôtel de Soubise. Il y avait là une exposition sur les sacrilèges. À ne pas confondre avec les blasphèmes (Le sacrilège (profanation d'objets sacrés) et le blasphème (insultes adressées à Dieu et à ses saints)
Pour cette exposition toutefois, la notion de sacrilège s'avère un peu plus vaste, plus floue, puisqu'elle s'étend du religieux jusqu'à notre bonne vieille Marseillaise. On y voit par exemple des images d'un Jacques Chirac offusqué, quittant le Stade de France quand cette dernière fut copieusement sifflée, à l'occasion d'un match de football dont on a oublié le score et les équipes en compétition. Mais aussi ce dessin, très drôle je trouve, où l'on se moque de la reconstitution d'une relique (lire la phrase au bas de la photo).



L'exposition étant somme toute assez succincte, nous en avons très vite fait le tour. Alors, pour conclure ce long dimanche de grisailles, nous sommes allés au cinéma, voir ce film oscarisé, césarisé, dont on dit le plus grand bien : "Anatomie d'une chute". Et alors là je dois dire que je ne comprends plus rien. Certes le film est bien ficelé, les dialogues ciselés, de l'ensemble se dégage un réalisme très réussi. Tout cela je le concède volontiers. Malgré tout je n'ai pu m'empêcher de ressentir une forme d'ennui dans ce quasi huis-clos (tribunal). Pour le moins j'attendais un épilogue spectaculaire... qui n'arriva pas. Je ne vais pas dévoiler la fin (bien que la réalisatrice l'ait déjà fait dans une interview), mais je dois dire qu'elle nous a laissé, ma belle et moi, très perplexes, dubitatifs.
L'impression définitive étant que nous avions vu là un téléfilm de bonne facture, soigné, un truc pour Arte, ou France 3 Regions, mais qui ne méritait pas tant de louanges.



Le casse de l'oncle Tom




Je revois tante Mathilde sur le seuil de ciment, avec un grand sourire de joie, essuyant ses mains ménagères à son tablier de coutil. Y avait mon papa dans ce temps-là ; pas tellement joyce de se pointer chez Dugadin, mais faisant bonne figure pour ne pas contrister maman. Le vieux Tom ne se trouvait jamais là. À croire qu'il n'habitait pas sa ferme. Il surgissait d'ailleurs, toujours : de l'écurie, du hangar, du potager, d'un sentier qu'on avait pas remarqué entre les hautes touffes d'ortie.

Je vais retrouver cette odeur de cellier et de vieux bois, de javel aussi, car tante Mathilde, avant de balayer, arrosait toujours le sol avec avec un gros entonnoir à anse contenant une lotion javellisée. Elle décrivait des 8 à n'en plus finir, qui se superposaient et se substituaient longtemps sur le rude plancher. Ah ! Mes ombres ! Personnages de ma petite enfance dont je traîne le deuil sur les rivages de la vie, pareil à une vieille veuve bretonne qui s'obstine à regarder la mer

Frédéric Dard, "Le casse de l'oncle Tom", 1987.


L'autre jour il faisait beau. Alors je suis parti prendre un rayon de soleil sur un banc du square voisin, avec un livre sous le bras. Une activité de presque vieux que je deviens. Le livre c'était un vieux San-A déniché dans ma bibliothèque: le casse de l'oncle Tom daté de 1987. San-Antonio faisait mes délices de jeune homme, quand je prenais le train Corail pour une destination ou une autre. À 40 années de distance, je l'ai retrouvé avec plaisir, le trouble dans l'entrejambe en moins. Mais là n'est pas la question. Relire l'un de ces vieux romans de gare c'est mesurer à quel point nous avons changé d'époque. Plus rien des lignes que je parcourais ne pourrait s'écrire aujourd'hui. Trop de sexisme bon enfant, trop de plaisanteries à connotation raciales, plus personne je crois ne publierait Frédéric Dard de nos jours. Aussi je tiens ces petits romans dérisoires comme autant de biens précieux. Et pourtant, en cette année 1987, il en fait des efforts Frédéric Dard! Il intègre à son équipe, au grand désarroi de Béru, monsieur Blanc, sénégalais, balayeur de son état, dont la mission jusqu'alors était de conserver propres les trottoirs autour de Saint-Sulpice, et qui va s'avérer un excellent flic.

Je crains malgré tout que cela soit bien insuffisant pour le faire entrer en odeur de sainteté auprès d'une Sandrine Rousseau.

Quoi qu'il en soit, si vous traînez sur les vide-greniers, surveillez bien les bacs à livres et achetez tous les San-Antonio que vous pourrez y trouver : je suis certain que vous ferez un bon placement.

PS : ceci n'est pas une archive. 

lundi 25 mars 2024

La soupe au chocolat (archive)

 


 

 

 samedi 11 mars 2023
La soupe au chocolat

Elle arrivait le plus souvent, et le plus logiquement, vers la fin du mois. Pour ma mère c'était un crève-cœur, pour nous c'était jour de fête, ça nous changeait de la soupe au potiron. Pour elle cela voulait dire que le frigo faisait du froid sur du vide, quand on ne l'avait pas  déjà éteint. Nous étions trop jeunes pour comprendre la signification de la soupe au chocolat. Peut-être mon frère aîné la comprenait-il, lui qui était le seul à ne pas s'en réjouir, à ne pas partager notre joie.

La recette était simple : ma mère versait dans une casserole un reste de lait qu'elle allongeait d'eau. Puis elle récupérait dans la panière tous les vieux croûtons délaissés, si durs qu'elle avait parfois du mal à les briser, les jetait dans la casserole. Elle saupoudrait le tout d'un peu de cacao, et c'était le festin.

Mes parents appartenaient à cette génération pour laquelle terminer dans le rouge, devoir des sous à la banque, aurait été l'humiliation suprême. À la banque ils leur devaient l'emprunt pour la maison. C'était beaucoup mais c'était tout. Pour le reste il fallait faire avec ce que l'on avait.

L'autre jour ma belle et moi avons fait un déjeuner de roi :

Crevettes sauvages d'Alaska, avocats d'Israël et son filet d'huile d'olives, première pression à froid, de Tunisie, salade rougette, œufs pochés au vinaigre balsamique, picodons d'Ardèche, ananas Victoria de la Réunion.

Ça méritait bien un rot de conclusion, que je me suis permis discrètement...

Le soir venu je me suis dit qu'après un tel repas je pouvais faire l'impasse sur le dîner.

Je regardais Darius qui, comme il le fait invariablement depuis un an, nous expliquait encore et encore combien la guerre de Poutine est un contresens historique, combien son armée est naze, archi naze. Ne venait-elle pas encore de perdre pas moins de 130 chars, dans la répétition d'une erreur déjà commise aux premiers jours de la guerre ? Une telle désinvolture avait de quoi surprendre, laisser pantois...

C'est à ce moment là que mon estomac s'est de nouveau manifesté : j'avais faim, une faim dévorante.

Le frigo faisait du froid sur du vide. Un frigo Potemkine en quelque sorte. Ne restait plus que quelques feuilles de salade, une tablette de beurre entamée. Sur la table, un quignon de pain, une banane oubliée qui n'en finissait pas de noircir. J'ai ouvert le quignon de pain, étalé un peu de beurre, écrasé la banane, trouvé un peu de sucre de canne et saupoudrer le tout...

C'était bon comme une soupe au chocolat.


La véritable histoire des œufs de Pâques (archive)

 


 

 

 dimanche 9 avril 2023
La véritable histoire des œufs de Pâques

 


   À l'heure où nos fêtes chrétiennes font le bonheur des chocolatiers, des pâtissiers et autres commerçants, à défaut de remplir les églises, je voudrais dire ici ce qu'était pour nous la tradition des œufs de Pâques.

Dans ma tendre enfance j'ai été enfant de chœur. Quand venait le moment de Pâques, notre curé (qui était en fait un abbé) nous chargeait d'une mission : aller bénir les maisons de la commune. Notre commune, ou paroisse, avait un rayon de près de deux kilomètre et une journée entière n'était pas de trop pour mener à bien cette mission. Nous partions à bicyclette, avec dans nos sacoches des sandwichs variés, et quelques paquets de chips, le bénitier accroché au guidon. Nous frappions aux portes des maisons, des fermes, et nous proposions la bénédiction. Durant la courte cérémonie nous entonnions ce chant (sauf Dédé qui chantait faux) :

Chétiens chantons, chantons, joyeux,

C'est notre Christ le Roi des cieux,

Qui ressuscite glorieux,

Alléluia, alléluia, alléluia !

Le bénitier, de faible contenance, se vidait rapidement au gré des soubresauts du vélo. Alors nous le complétions dans un ruisseau ou à une fontaine publique. Pour une maison garantie bénie à l'eau de rivière, les paroissiens nous laissaient quelques pièces, qui allaient en rejoindre d'autres dans une sacoche dédiée. Parfois, il faut bien le dire, des portes restaient obstinément closes, soit par radinisme maladif, soit par athéisme borné.

Mais il nous arrivait aussi d'atteindre des fermes éloignées, isolées ; pauvres. Je me souviens de l'une d'elles, leurs propriétaires travaillaient encore leurs terres avec des percherons. Pour eux il y avait encore un maréchal-ferrant au village. En remerciements ils nous offraient une douzaine d'œufs frais du matin. En cela ils respectaient à la lettre la tradition qui veut, en ce moment de joie, que l'on améliore l'ordinaire du curé en lui offrant de quoi faire un festin : œufs donc, mais aussi quartiers de viande, poules, légumes du jardin.

Nous repartions avec les œufs. Mais les ramener intacts au presbytère était un défi irréalisable. Alors, au premier tournant, nous nous arrêtions au pied d'un talus. A l'aide d'un morceau de bois nous percions les œufs à leurs extrémités (un peu comme tu casses ton ampoule de vitamines D si tu vois), et nous les gobions. Fallait avoir le cœur (et le foie) bien accroché. Nous l'avions.

Nous revenions avec une maigre recette... Beaucoup de ferraille, de rares billets.

Elle était d'autant plus maigre cette recette, qu'elle n'était pas destinée à aller dans les poches de la soutane de notre curé, mais à nous offrir un voyage : le voyage annuel des enfants de chœur. Nous n'étions que des enfants et les considérations financières nous passaient très haut au-dessus de nos têtes. En y repensant, je soupçonne que notre curé avait un carnet d'adresses de généreux et discrets donateurs pour faire la soudure ... Combien d'enfants ont vu la mer pour la première fois grâce à ces voyages ? C'était la version chrétienne du secours populaire...

Le voyage avait lieu au début du mois de juin. Je me souviens de l'un d'entre eux, au cours duquel nous allions découvrir la dune du Pilât. Dans le car ça sentait le jambon-beurre et la banane, le chewing-gum à la menthe. Nous étions turbulents, excités, comme on l'est dans ces âges. Notre curé faisait le voyage à l'avant, à côté du chauffeur. Parfois il se levait vers nous, réclamant un peu de calme. Son regard se posait sur chacun d'entre nous. Peut-être cherchait-il à deviner qui d'entre nous serait un jour son successeur...

De successeur il n'en a pas eu. L'église est fermée aujourd'hui, n'ouvre plus que pour les enterrements.

Voila en tout cas, ce qu'était pour nous la tradition des "œufs de Pâques".


La philarmonie de Paris-Pantin (archive)

 

 


 
mardi 27 février 2018
La philharmonie de Paris-Pantin



Mardi 26 mai 2015
La honte

                                             
                                                  La philharmonie de Paris-Pantin


J'ai honte. Oh oui j'ai honte. Mais mettez vous à ma place : il faut bien vivre et c'était une belle commande. On m'a dit :
- Il conviendrait que ça ne ressemble à rien, n'évoque rien, ne parle de rien mais à tout le monde. Vous voyez le topo ?
De ce point de vue là y'a pas à dire c'est réussi.
- l'idéal serait un bâtiment qui aurait tout autant sa place à Shanghai ou Abou Dabi. Voyez-vous Paris est une ville-monde. Ayez ça constamment présent à l'esprit en concevant votre projet.
Une ville-monde...mais où vont-ils chercher tout ça ?
On dit que l'on ne comprend certains auteurs qu'un siècle après leur mort. Je veux bien. Mais moi je ne me comprends pas moi-même. Je me sens comme cet accusé en garde à vue incapable d'expliquer son geste.
Non moi j'étais fait pour autre chose. Je viens trop tard ou trop tôt. J'envie, j'ai de la jalousie, pour les architectes du 3ème Reich, ceux de l'Union Soviétique qui maniaient si bien le béton. Ou Perrault à la rigueur. Une ville entière tout de même, ça n'est pas rien. Mais mon héros c'est le Baron, quand il écartelait Paris, lui libérait ses bronches encombrées à grands coups de sabre, crac ! crac ! Je pensais à ça l'autre jour dans mon taxi. J'étais pris dans un ralentissement, un bouchon quoi. A la hauteur de la Porte de Pantin j'ai jeté un coup d’œil à la dérobée. "Effet vol d'hirondelles" ça devait rendre. Le résultat c'est plutôt "chiures de goélands", faut bien admettre. J'ai détourné le regard vers les moulins.
On a inauguré le truc avec une expo "David Bowie", un personnage ambigu comme on dit. C'était parfait. J'attends avec impatience la rétrospective "Conchita Wurst". Ah les cons... Enfin l'honneur est sauf : dans les chiottes ils diffusent du Schubert, "La truite", paraît que ça fait aller. J'vous jure...
Ça coinçait vraiment. Mon taxi, un chinois rigolard, a agité son index vers la chose.
- c'est vous qui avez fait cela ! Hi hi hi !
D'où il me connaissait celui-là ? Est-ce que je lui demande, moi, si sa femme pose à poil pour les fonds de tasses à saké ? C'est incroyable ça !
- non, non, vous devez confondre, ai-je répondu. Tenez : prenez donc par le Pré-St-Gervais, je connais un raccourci.
J'ai honte je vous dis.


Fort Desaix, Martinique (archive)

 


 

 

mardi 27 février 2018
Fort Desaix



Dans un village du Loiret.

Un récent billet de Maxime Tandonnet, une carte postale envoyée de Fort-de-France sur son blog personnel , réveille en moi de vieux souvenirs.
Il y a 37 ans environ, je recevais ma convocation pour les trois jours, convocation accompagnée de toute une documentation ventant les différents corps d'armée. Contrairement à bien de mes camarades de l'époque, je ne voyais aucune objection à accomplir mon devoir. Il faut dire que je n'étais pas comme beaucoup d'entre eux engagé ni dans la drogue, ni dans l'alcool, dans un travail d'esclave, encore moins dans l'amour de ma vie comme l'a si bien moqué Saint-Exupéry dans Terre des Hommes. L'argument selon lequel "j'allais perdre mon temps" me paraissait discutable sinon faux . Aussi le soir, avant de m'endormir, bien décidé à le faire ce service militaire, je parcourais les brochures qui devaient affiner mon choix.
Et c'est ainsi qu'un dimanche, devant le poulet rôti, j'annonçais à mes parents que j'allai faire les paras. Il y eu comme un blanc. Un blanc rompu par un bruit de couverts tombant sur l’assiette de ma mère.
- tu ne vas pas faire ça quand même ?
- et pourquoi pas ?
Je tentais vainement une justification.
Mon père ne se prononçait pas. Il avait tiré de sa boite une allumette et se curait les dents, songeur, les yeux au plafond.  Je le regardais faire. Nous avions renoncé à lui apprendre les bonnes manières. Tout chez lui disait qu'il avait grandi avec les vaches et les cochons, qu'il en était assez fier. Quand bien même aurait-il voulu y changer quelque-chose que ses souliers sentiraient toujours la bouse. Il remis l'allumette dans sa boite, se servi un verre de rouge, rinça le tout et se tut.  Mais ma mère avait tout de suite eu la vision de son fils tombant en torche avec dans son dos un parachute cent fois raccommodé, bon pour la réforme. Elle me voyait dans ces gros avions, ces Transall bourdonnant dont on ne sait jamais quand les moteurs vont s'arrêter, caler, en finir avec une apesanteur illogique, s'écraser. Elle cauchemardait.
Les jours suivant furent sinistres. Il était devenu clair que je la torturais. Dans ma chambre je lisais et relisais les différents dépliants.
Un jour où nous étions de nouveau à table je fis part de ma décision, irrévocable cette fois-ci, à même de tarir les larmes maternelles :
- je ne ferai pas les paras : je pars pour  l'Afrique ou les Antilles avec un contrat EVSOM de deux ans.
- E...
- EVSOM, engagé volontaire pour servir outre-mer. C'est ferme et définitif.
Mon père se racla la gorge :
- il y a des opportunités dans l'armée.
Ce fut tout. Il se leva et débarrassa la table, ce qui était contraire à ses habitudes.
L'affaire était entendue, le compromis acté.  Mais j'ignorais encore que cette décision allait déterminer le reste de ma vie.

Perpignan.

La mémoire est sélective et la mienne a presque effacé ces deux mois dont il est vrai il n'y a pas grand-chose à retenir sinon des humiliations bien inutiles. C'était un peu avant ou après mai 81 et je votais pour la première fois contribuant à l’avènement de Tonton. Cloué au fond d'un lit d'une infirmerie je venais de recevoir le paquet groupé (le package on dirait aujourd'hui) des vaccins indispensables pour partir sous les tropiques et l'encaissais mal : tout mon corps de 58 kl se révoltait, tremblait, alternait entre la fièvre et la glaciation. C'était la dernière étape avant mon départ de Roissy. Que reste-t-il de ces deux mois ? Des marches dans les Pyrénées, le souvenir de cet Alsacien trop gras dans une côte caillouteuse, suant, gémissant qu'il n'en peut plus, une jeep qui le redescend vers la ville ; pour lui c'est fini . Une bergerie à la tombée de la nuit perdue dans la montagne, un camion qui apporte des ballots de paille pour en recouvrir le sol et le lieutenant qui ricane, son sac à dos bien ouvert laissant apparaître les vieux journaux dont il l'avait gonflé pour la marche :
- voila la paille pour les bœufs !
Ce même lieutenant qui nous passe en revue le matin :
- mais c'est quoi ce bataillon de pédés qu'on me demande de former ? Il crache et nous fusille d'un regard méprisant.
C'est vrai que pour beaucoup nous sommes assez ridicules dans nos shorts trop larges, nos vestes trop grandes ; à nos ceinturons il manque des trous. Lui s'est fait tailler une veste cintrée qui lui tombe pile poil au-dessus du cul et un short bien moulant qui met en valeur sa virilité (bourrée elle aussi au papier journal ?), ses jambes musclées et bronzées. Se rend-il seulement compte qu'accoutré de la sorte il devient lui-même objet de fantasmes homosexuels ? Pédé toi-même va !
Adieu Perpignan...

Fort-de-France.

L'avion s'est posé à l'aéroport de Fort-de-France Lamentin à la tombée de la nuit (mais la nuit tombant tout au long de l'année vers 18h peut-on parler encore de nuit ?). En descendant sur le tarmac je fus saisi par une sensation d'étouffement tant l'air était moite, saturé d'humidité. Crapauds et insectes nocturnes nous faisaient un concert de bienvenue, des odeurs nouvelles que j'aurais bien été en peine d'identifier me parvenaient par vagues. J'aurais dû être heureux d'être là mais dans l'avion la rumeur avait enflé que ce n'était pour nous peut-être qu'une étape, que nous allions devoir à nouveau passer devant un officier orienteur qui se chargerait de nous dispatcher qui en Guadeloupe, qui en Guyane, l'avis général étant que les plus chanceux seraient ceux qui resteraient en Martinique. De la Guyane il n'y avait rien de bon à attendre : des expéditions dans la forêt tropicale, dormir dans des hamacs, marcher, encore marcher. Certains, bien informés apparemment, racontaient les cas de ces jeunes qui repartaient pour la métropole bouffés aux moustiques, défigurés, la peau marbrée par des champignons microscopiques quand ils n'étaient pas infectés par la bilharziose ; on les nommait pudiquement "les rapatriés sanitaires". Une incertitude pesante avait fait place à l'enthousiasme du départ.

On s'habitue vite. Plier, déplier la moustiquaire, aller à la douche en chassant du pied les ravets qui squattent la cuvette, attendre...
Dans la chambrée j'avais trouvé ma place près de la porte et de la passerelle qui donnait sur la cour. Mes nouveaux camarades m'avaient plutôt bien accueilli et deux ou trois se révélèrent par la suite plus que des camarades. Mais nous étions arrivés depuis près de 48 h et n'étions toujours pas fixés sur notre sort. Après tout peut-être était-ce là notre destination finale ?

Je suis dans le bureau de l'officier orienteur. Il a le nez plongé dans mon dossier et, sans relever la tête me demande :
- qu'est-ce qu'on vous a dit à Paris ?
- on m'a dit qu'avec mes compétences...
Il ne me laisse pas terminer, lève les bras au ciel façon Général De Gaulle et s'exclame :
- vos compétences ! Vos compétences !....
Il n'ajoute pas qu'il en a rien à foutre de mes compétences, qu'il les voit voisines de zéro, ce serait superflu. Il replonge dans mon dossier que je n'imaginais pas si long. Son stylo tournoie au-dessus des pages, s'arrête sur une ligne, coche une case. Visiblement je lui pose un problème. J'ai des sueurs froides qui me dégoulinent sous les aisselles. Mon compte est bon : demain je pars pour Cayenne.
- vous savez taper à la machine ?
- ...non...
- et bien vous apprendrez !
Encore quelques griffouilages, signature, coups de tampon, et voila comment je suis devenu secrétaire du chef de corps, le lieutenant-colonel L.

Enfin secrétaire du chef de corps c'est beaucoup dire. En y repensant je crois pouvoir dire que l'officier m'avait parfaitement jaugé, qu'il n'était pas orienteur pour rien, qu'il avait créé pour moi un emploi fictif en quelque sorte. Je n'ai jamais appris à taper à la machine : le secrétariat disposait d'une secrétaire civile qui faisait ça très bien. Dans le fond du bureau on avait trouvé une place pour une petite table et une chaise où je venais tous les matins prendre mon service à six heures (après-midi antillaise oblige). Mon travail consistait à ouvrir le courrier, sauf celui qui était estampillé "confidentiel défense". C'est vous dire si j'étais débordé... Au fond si je devais faire une comparaison, je dirais que l'on m'avait mis là un peu comme un prématuré dans une couveuse, à l'abri. On avait pour moi qu'indulgence et bienveillance. On semblait ne pas voir quand mes cheveux dépassaient la taille réglementaire, tout juste me faisait-on la remarque quand mon menton parfois grisonnait.

Le matin vers 9h le commandant J. entrait dans la pièce et me faisait signe de le rejoindre. Dans le couloir il me donnait quelques pièces en me disant : "il y a aussi pour la votre". Alors je quittais les bureaux, empruntais lentement, sans me presser, le chemin qui remonte vers la route du Morne Desaix. Là, à l'ombre d'un bosquet, se tenait tous les jours une vieille martiniquaise en habits madras traditionnels assise sur un pliant avec devant elle une bassine en plastique bleu et sur son côté une glacière. Dans la bassine marinait de la morue et des oignons dans une huile pimentée. Le rituel avait beau être quotidien, je salivais en la voyant couper le pain, mouiller la mie d'un peu d'huile, étaler les oignons puis la morue grossièrement dessalée. De toutes les curiosités qu'il m'a été offert de goûter durant mon séjour, c'est ce simple sandwich que j'ai le plus regretté à mon retour en métropole. Puis elle sortait deux bières de la glacière.
Sur le chemin du retour je marchais d'un pas plus rapide : le commandant n'aimais pas la bière tiède.

Sans vouloir enjoliver le passé ou verser dans un sentimentalisme béat, je crois pouvoir dire que je coulais des jours heureux. Même quand j'eus à tâter de la paille humide des cachots (en fait une petite cellule de béton sans sanitaires avec une minuscule ouverture grillagée pour laisser entrer un peu de la lumière du jour) l'affaire tourna malgré tout à mon avantage.




Tonton et moi (archive)

 


 

 

 dimanche 9 mai 2021
Tonton et moi

 

 

Hier soir LCP diffusait un documentaire retraçant la carrière de François Mitterrand, cet homme de droite qui se fit élire à gauche. Certains des intervenants étant morts depuis belle lurette, je pense que ce roman télévisuel datait un peu. Mais il m'a replongé dans ma vie personnelle. C'est que, voyez-vous, je lui dois rien de moins que ma carrière professionnelle.

Notre histoire à tous les deux commence en 1981, année où je vais pour la première fois exercer mon droit de vote. J'ai alors 20 ans et je vais glisser dans l'urne un bulletin pour lui, juste avant d'atterrir dans une infirmerie militaire de Perpignan, cloué au lit, car je viens de recevoir toute une batterie de vaccins avant de m'envoler pour deux ans vers la Martinique et le 33è RIMA de Fort Desaix, et je suis raplapla, j'ai la fièvre. Dans une forme d'ingratitude, c'est la seule fois que je voterais à gauche. Il faut dire que ma culture politique était alors en friche, en jachère, attendait d'être ensemencée. Et pourtant, c'est bien à lui que je dois d'avoir gravis un jour les marches des Studios des Buttes-Chaumont, à lui et son vaste programme d'embauche des jeunes au début de son premier septennat.

Je me souviens encore de ce jour de juin et des mots de celui qui allait me faire signer mon premier contrat de travail. C'était un homme fort, à lunettes carrées, en costume et cravate noirs. J'étais devant son bureau, un peu intimidé. Il tapotait du plat de la main les maigres diplômes que je venais de lui présenter, me posait quelques questions d'ordre général. Il me dit :

- nous sommes en juin, l'activité va considérablement ralentir. Mais revenez me voir en septembre et je vous mettrais au chaud.

Et voilà comment en 1983 je me suis retrouvé à arpenter le plateau des Carpentier, ceux du Grand Échiquier et de Droit de Réponse. Il y avait aussi ce plateau que l'on atteignait en traversant les ateliers de "prémontage", d'où était diffusé en direct ce que l'on appelait "les dramatiques", dans des décors finis parfois quelques minutes seulement avant la prise d'antenne, la peinture à peine sèche. La télévision à cette époque était une forme de service public, financée par l'impôt et de rares pages de publicité. Y entrer c'était la garantie d'un emploi à vie.

Puis vinrent les années 90, les nouvelles chaînes, la privatisation de TFI. Le nouveau marché avait besoin, sinon de talents, de compétences. Ce fut le grand débauchage, l'hémorragie de ce que la télévision publique comptait de meilleurs. L'argent semblait inépuisable. Le nouveau monde offrait des salaires attractifs, une façon de travailler très libérale qui faisait passer la SFP pour une relique archaïque. Les salariés les plus vieux, (55 - 56 ans), furent mis en retraite anticipée avec de généreuses indemnités. Les plus jeunes furent recasés dans ce qui subsistait du service public. Bientôt les studios furent rasés, le terrain libéré livré aux promoteurs. À mon humble niveau, je pris aussi la tangente.

 1995. Mon frère (paix à son âme) est sur les toits du palais de l'Élysée, derrière une caméra. Sa mission : filmer l'arrivée de Jacques Chirac qui vient prendre possession des lieux. Moi, je suis dans les jardins. Il est aux alentours de midi, c'est la pause déjeuner. Je suis seul ou presque, affairé aux derniers réglages de la machine qui filmera d'ici.  

Il existe dans les archives télévisuelles une scène où l'on voit Mitterrand se promener à cette heure avec une personne que je n'ai jamais su identifier. À un moment, il lève la main en direction de quelqu'un. C'est à moi qu'il adresse ce salut.

Quelques mois plus tard je suis à Jarnac.

Le monde entier s'est donné rendez-vous à Jarnac. Les hôtels sont complets, la moindre paillasse sous une comble se loue à prix d'or. Dans le petit cimetière des visages jusqu'alors quasi inconnus font leur apparition. "Une messe est possible". Dans le même temps, à Paris, une messe est dite à Notre-Dame-de-Paris en mémoire du président socialiste.

 Voilà ce que fut ma relation, à la fois lointaine et privilégiée, à M. François Mitterrand, icône très discutable, mais néanmoins estimable, d'une gauche aujourd'hui disparue.

Sans son élection, il est probable que mon destin eût été très différent.

Elle arrose les arbres morts suivi de la burlat du Paki (archive)

 


 

 

 lundi 7 février 2022
Elle arrose les arbres morts


Ma belle, toujours aussi pimpante et guillerette, comme elle l'est du lever au coucher, ouvre d'un geste décidé la fenêtre du balcon, une bouteille d'eau à la main.

- mais... qu'est-ce tu fais ?

- tu le vois bien !

Elle est en train d'arroser le mimosa qui était si beau l'hiver dernier et n'a pas supporté l'été, l'acer du Japon dont on se demande comment il a pu être envahi par ces mauvaises herbes inconnues, qui seules donnent encore un signe de vie, et d'autres plantes encore dont je ne sais plus rien de leur nom, évoquent un jardin à l'abandon.

- mais...

- quoi !...

- mais enfin tu vois bien qu'elles sont mortes ces plantes !

- qu'est-ce que tu en sais ?

Ma belle est d'un naturel optimiste...


jeudi 30 juin 2022
La burlat du paki




Ce soir ma belle, anticipant d'un jour mes soixante et un balais, m'a rapporté du chemin de son retour une barquette de burlat.

La cerise burlat...

Ça peut paraître anecdotique de prime abord, mais cherchez-en autour de chez vous : vous n'en trouverez pas ou alors au prix du caviar.

-  merci mais tu as dû te ruiner !

- pas du tout : je les ai achetées à mon copain pakistanais qui tient son stand sur le trottoir au sortir de mon bureau. Pour presque rien...

Ça m'a laissé rêveur...

Comment fait-il ce paki pour proposer aux passants ce délice de printemps devenu inabordable ? Ce plaisir autrefois si simple et naturel, gratuit ou presque : croquer une cerise sans y laisser la peau des fesses quand arrivent les beaux jours ?

Faire exploser sous ses dents tous les parfums d'une burlat est devenu un luxe qu'un paki propose encore dans les rues de Paris à prix défiant toutes concurrences.

L'immigration a bien ses mystères...

Cannes suivi de chaussures en peau de porc (archive)

 

 


 


mardi 27 février 2018
Cannes



Ils sortaient du Palais. Deux jeunes hommes et deux jeunes femmes, robes de soirée, smoking et nœud-pap de location. Le film qu'ils venaient de visionner s'appelait "Mare Nostrum" ou quelque chose comme ça. Une histoire de migrants rejetés par la mer sur les côtes inhospitalières de la Sicile, aux portes de cette Europe-forteresse dont les dirigeants se livraient à de navrants calculs, à de honteux comptes d’apothicaires sur la répartition du fardeau. Un film bouleversant promis à de nombreuses suites.
- Je suis bouleversée, fit l'une des jeunes femmes en s'asseyant sur une chaise imitation rotin, à la table d'un restaurant qui se trouvait coincé entre un kebab et une crêperie, dont le menu proposait "moules farcies, daube provencale, 17euros ttc.
Un orchestre (ils étaient trois) de roumains nonchalants descendaient la rue, jouant, fort bien d'ailleurs, sur leurs violons, leur accordéon, les notes traînantes, dégoulinantes, sirupeuses du Parrain.
- nous sommes des salauds !
Elle était au bord des larmes. Son voisin, un rien profiteur, lui caressait son épaule dénudée. Les roumains déjà, sur un signal connu d'eux seuls, repartaient vers d'autres tables, vers le Suquet, sans une pièce, sans un regard.
- et nous en France ! Avec un gouvernement socialiste ! Que faisons-nous ?
Un africain de 2m60 (il portait sur sa tête une pile de chapeaux de paille, le festival cette année étant bizarrement très ensoleillé) arriva à leur hauteur. Sur son avant-bras en présentoir il y avait une centaine de lunettes de soleil aux design variés et, surtout, le dernier né de la technologie chinoise : une perche télescopique permettant de faire des selfies mais "de plus loin". Dans l'indifférence générale il se livra à une petite démonstration, peu convaincante il est vrai, puis, d'un pas fatigué, repris son chemin en se demandant ce qui pouvait bien clocher dans son offre, quelle était vraiment la demande. Les blancs décidément étaient incroyablement compliqués.
Le serveur vint à eux. Pensant bien faire elle s'écarta un peu.
- ah non Madame ! Vous ne pouvez pas faire ça !Tables et chaises doivent impérativement ne pas dépasser cette limite.
Il désignait le caniveau central de cette rue étroite. A deux mains elle prit sa chaise, revint d'un mouvement brusque qui fit joliment danser ses seins, dans les limites autorisées par la municipalité. Le serveur déposa alors devant eux quatre cartes plastifiées en précisant :
- nous n'avons plus de daube provencale.
Un roumain débonnaire sorti de nulle part, souriant, ventripotent, portant en bandoulière une sorte de clavecin sur lequel il jouait, fort bien d'ailleurs, les notes traînantes, dégoulinantes, sirupeuses du Parrain s'approchait d'eux. Elle posa violemment ses coudes sur la table, pris sa tête entre ses mains, éclata en sanglots.
Publié par Fredi M. le février 27, 2018

mardi 27 février 2018
Chaussures en peau de porc





Ce matin je cirais mes pompes. "Un rien de Baranne pour dix jours de brillant", l'antique slogan publicitaire me revenait en mémoire. Le cirage de pompes, quand il ne consiste pas à obtenir des faveurs indues par de viles flagorneries, est en quelque sorte un temps de cerveau disponible où nos pensées en font à leur guise. Tout à mon brossage je constatais l’avancée des différents signes d'usure, de fatigue de mes chaussures : craquements profonds comme autant de rides irréversibles, semelles se décollant sournoisement. "Il serait temps d'en changer" me dis-je. Et je me souvins de cet ami qui ne jurait que par la qualité, homme de goût qu'il était et qu'il est toujours, qui me disait : "tu devrais acheter des chaussures en peau de porc. C'est increvable ; elles te feront une vie." Il exagérait bien sûr. Mais je décidais d'aller jeter un œil sur google, voir ce qui se faisait en la matière (c'est le cas de le dire) et à quel prix. Il me fut bien difficile de trouver des sites en proposant à la vente. En revanche il y avait pléthore de liens qui renvoyaient vers des blogs, où de braves gens se posaient des questions existentielles de la plus haute importance. En voici un exemple parmi d'autres :

Salam alikoum,
La question est :

Pour certaines chaussures de ville et certaines basquette, la semelle de celle-ci est faîtes soit en cuir de vachette, soit en cuir de porc.
Or, lorsqu'on marche, on transpire et un peu de la semelle déteint sur la chaussette......or comme le porc est impur, cela annule-t-il la prière?
Si qqn a la réponse..merci de transmettre la source..fatwa, hadith, site etc..
Salam alikoum !

(sic)

Pour mes tatanes haram en peau de porc je crois que je vais procéder autrement ...

Salam alikoum mes frères !

Publié par Fredi M. le février 27, 2018



Le pigot (archive)

 


 

 

 mercredi 15 mars 2023
Le pigot



Si c'est au jeu des ricochets que Brassens était "de première force", moi c'était au lance-pierres, que nous appelions "pigot" dans notre région.

J'en maîtrisais à la perfection la fabrication et le tir. Le tir c'est une affaire de géométrie, de perpendicularité, d'équerrage, de point fictif de visée. La conjugaison de ces trois paramètres n'est pas aussi aisée qu'il n'y paraît. Pour la fabrication je choisissais tantôt une fourche de noisetier, tantôt une fourche d'orme (aujourd'hui disparus). C'est dans ce bois très dur que je fis mon dernier pigot. En montant sur la roche qui est derrière notre maison, je l'avais repéré dans la futaie ce "V" parfait, ni trop écarté ni trop rapproché, au diamètre des branches régulier. Muni d'une petite scie je l'avais découpé grossièrement puis, redescendu, j'avais évalué les proportions, ramené la fourche aux dimensions idéales du pigot. Ensuite, avec mon Opinel, j'avais creusé les entailles dans lesquelles j'irai plus tard fixer, avec de la ficelle de boucher, les extrémités du lanceur, une bande de caoutchouc prélevée dans une vieille chambre à air de vélo.

Le résultat fut magnifique, proche d'une œuvre d'art.   

Très vite je l'essayais, sur des boites de conserves, des canettes vides dont je repoussais, après chaque nouvel impact, l'éloignement de quelques mètres. Il était d'une précision redoutable, faisait ma fierté d'enfant.

En une belle fin de journée d'été, j'étais dans le jardin, parcourant une BD. Délaissant ma lecture, je levais les yeux vers les hirondelles qui piaillaient, se regroupant sur les fils électriques (aujourd'hui enterrés) qui passaient devant notre maison, longeant le muret qui borde la route. Elles étaient encore nombreuses à cette époque, nichant dans les granges, les hangars ouverts à tous les vents. Elles venaient de passer la journée à arpenter les cieux, se racontaient des histoires d'hirondelles avant la nuit, faisaient comme les notes de musique d'une partition sur les câbles. Je me suis levé. Je suis allé chercher le pigot. J'ai tiré sans trop y croire. Elle était si petite... Mais j'ai vu une note de musique décrocher, tomber et disparaître derrière le muret. J'ai passé la porte qui donne sur la rue. Là, aux pieds de liserons sauvages, je l'ai vue. Je l'ai prise dans ma main. Elle était encore chaude, sa tête toute désarticulée, l’œil fermé.

Je suis resté un long moment, incrédule, triste, désemparé.

A partir de ce jour je n'ai plus jamais fabriqué ni tiré au pigot.


Mémoires de "S" (archive)

 




 

 

 mercredi 6 mai 2015
Mémoires de S.


Bien arrivé à S. ! Tout va bien. Mais la rivière est toute chamboulée. Les traces, très visibles, laissent deviner ce qui s'est passé ici. Tu sais que des épisodes cévenols j'en ai connu, que certains m'ont fait peur. Mais celui-ci je n'aurais pas aimé le vivre : il a dû être effrayant, apocalyptique. Si j'en crois les habitants du village, il s'est produit peu de temps après mon passage à la Toussaint dernière et a complètement modifié le paysage qui nous est familier. La berge en pente douce n'existe plus, comblée par un amas de pierres. Le bassin où nos enfants jouaient aux explorateurs, quand ils étaient encore des enfants, est lui aussi envahi de sable et de roches. J'en suis un peu responsable : le barrage que j'avais bâti pour augmenter la retenue d'eau a remarquablement résisté. Il se couvre et disparaît sous les gravats accumulés apportés par les torrents. En le regardant par la fenêtre j'aime imaginer que dans deux mille ans on le redécouvrira avec émerveillement, comme on s'émerveille de quelques pierres gallo-romaines découvertes aujourd'hui. Mais ce qui m'amuse le plus, ce sont les collines. Dans ce coin de France dont on nous dit qu'il ressemblera bientôt aux paysages du Maghreb, elles n'ont jamais été aussi vertes, aussi boisées. Et le ruisseau qui se glisse entre ces superbes mamelons, habituellement si paisible, presque éteint, gronde comme un torrent de montagne, semble intarissable.  L'ensemble évoque plus le Connemara que l'Afrique du Nord. Enfin cet été l'eau ne nous fera pas défaut. Comme dit le proverbe "à toute chose malheur est bon" : à deux enjambées en amont, la crue a nettoyé le gourd où nous puisons l'eau, mis à nu la roche mère, arraché les ronces des berges, fait de cet endroit la plus belle des piscines à la ronde. J'entends déjà les cris joyeux de V. et C. quand elles s'y baigneront dans deux mois.
Bref, si l'enfer est passé par ici, il n'a pas triomphé et c'est encore et toujours le paradis.
N'y manque que sa Reine.

Publié par Fredi M. le février 27, 2018 




lundi 26 février 2018
Mémoires de "S"



Genêts et lilas et bien d'autres fleurs encore dont j'ignore le nom semblaient s’être unis pour donner à l'air les flagrances d'un parfum d'un grand créateur. De temps en temps c'étaient des effluves de grillades gardées au chaud sur des braises mourantes qui parvenaient jusqu'à nous. Nous venions d'entamer la deuxième bouteille de Viognier vendanges tardives et n'étions pas pressés de passer à table. Le Viognier, quand il est bien fait, a le mérite de mettre tout le monde d'accord, la gent féminine comme la masculine. D'ailleurs "X." m'adressa un clin d’œil et du pouce me fit signe que son verre pleurait. Je le resservis ainsi que toute la tablée installée sur la terrasse. Nous étions bien, nous étions loin de tout, loin de Trump, des primaires, des bilans, du "tout va mieux", loin aussi de ces tracas qui vous creusent des rides profondes sur le front. "P.", assis sur le muret, improvisait des airs de guitare et "V.", captivée, envoûtée (amoureuse ?) regardait fixement ses doigts agiles pincer et frotter les cordes. Peut-être qui sait, mon fils, un jour ce seront des salles entières qui viendront t'écouter, t'applaudir. En attendant tu te débrouille comme un chef et tes mélodies sont du miel pour les filles. De fait tout le monde se taisait, l'écoutait, à un point où il fini par en être gêné. Il reposa sa guitare sur le muret puis entra dans la maison mettre "Harvest" dans le lecteur. Comme nous avant lui, comme beaucoup de jeunes de sa génération, il aimait ces musiques des années 70 qui lui semblaient l'expression d'une époque bénie eux qui n'ont pour horizon que le surpeuplement, une nature dégradée, la précarité et la certitude de conflits en tout genre. Les sons aigus de l'harmonica soutenus par la batterie, nous ramenaient des décennies en arrière, quand tout n'était que joies, effervescences et promesses radieuses. Là nous étions plutôt comme de vieux hippies, un peu gras, un peu beaufs, aux cheveux poivre et sel (sauf moi !), aux désirs éteints, incapables de faire un trois-feuilles. Nos amies d'hier étaient devenues nos femmes, nous avaient fait à tous de beaux enfants qui jalousaient notre passé idéalisé. Nous n'avions pas cédé à la tentation de la séparation à la première discorde, à la première rencontre ensorceleuse. Nous avions reproduit le schéma de nos parents pour qui le mot "engagement" avait encore un sens. Un cumulus, qui est paraît-il le nuage du bonheur, celui que dessinent les enfants autour de la maison, obscurci un moment le ciel et une brise frisquette en profita pour nous rappeler que ce printemps était décidément bien tardif. Quelques titres de Neil Young passèrent encore puis "H" se tourna vers moi et me dit dans un sourire :
- tu peux mettre Bizet s'il te plaît ?
Jeune jouvenceau imberbe, sache qu'une demande de femme, même formulée de la façon la plus aimable, n'est pas une demande mais un ordre : j'allais devoir bouger mon c...qui se trouvait pourtant au mieux au fond de sa chaise. Je me levais à contre-cœur. Dans les pochettes vides, les CD éparpillés, je mis un temps fou à remettre la main sur cette fichue "Carmen".
"H" était encore très belle, ne faisait pas son âge comme ont dit et, privilège des quarteronnes sans doute, avait gardé la taille fine et le corps d'une jeune femme de vingt ans, guère plus. Et qui d'autre que moi pouvait savoir que sous sa couleur blond-vénitien se dissimulaient bien des cheveux blancs ? Aux premières notes frappées de tambourin, elle esquissa des pas de dance qui pouvaient passer pour ceux d'une dance gitane. "F" l'encouragea en tapant dans ses mains. "H" était heureuse comme rarement elle l'est à Paris.
La journée s'étirait. Au loin un coucou ponctuait de son chant intermittent notre voluptueuse oisiveté. Mais le soleil déclinait, glissait inexorablement derrière la colline, puis il disparu brutalement et déjà la lune dans un ciel encore clair nous assurait qu'elle prenait possession des lieux. Un froid tout aussi brutal envahi la terrasse et, un à un, tous regagnaient la maison. "P" se plongea dans la lecture de vieux Picsou magazine prouvant ainsi qu'avant de devenir un artiste célèbre il était encore un enfant. "T", allongé sur ce qui d’ordinaire me sert de lit, lisait quant à lui un auteur Allemand. S'il ne négligeait pas les classiques Français, il s'était pris d'une vraie passion pour la littérature allemande et russe. Il venait d'écourter son tour du monde, s'étant rendu compte que les voyages en solitaire ne correspondent pas toujours à ce que l'on peut en lire dans les livres ou bien que ce n'était peut-être pas son truc. Mais il avait quand-même bien voyagé, dans des pays où, dit-on, les peuples sont terrorisés par des tyrans, tyrans qui eux-même se chient dessus quand Poutine leur fait les gros yeux. Qu'en sais-je...en tout cas il y a fait de belles rencontres, parfois avec des personnes ayant trois fois son âge, ressemblant comme deux gouttes d'eau à des paysans morvandiaux et qui, peu soucieux des préceptes de leur religion supposée, trinquent volontiers à la vodka qui se boit là-bas dans des bols. En attendant des jours plus fastes, "T" occupait la maison depuis quelques temps, dévorant des bouquins, se recréant un univers bien à lui, de sorte que nous nous trouvions chez nous un peu chez lui.
Je craquais une allumette pour allumer le feu que j'avais préparé. Tout de suite je sus que ce serait un succès. Ce n'était pas pour rien que l'on m'avait surnommé le "Maître du feu". Très vite de belles flammes éclairèrent le conduit et "C" ne s'y trompa pas, vint présenter son dos au foyer.
C'est alors qu'"X" rentra dans la pièce d'un pas lourd. Il s'immobilisa en son milieu et prononça un traînant et tonitruant "heuuuu....."qui nous fit tous tourner la tête vers son regard bleu translucide à cet instant vaguement inquiet, désemparé. Il tenait dans sa main gauche un verre vide et dans la droite une bouteille de Merlot largement entamée. Sur son tee-schirt noir, là où son volumineux abdomen rejoignait son thorax formant comme un reposoir, s'accumulaient des miettes de pain, des peaux de saucisson, des éclats de gélatine de pâté de tête, des taches diverses et variées, des traînées de moutarde séchée. S'il eût fallu faire le portrait du Berrurier des San A, il en aurait été le parfait modèle. Sauf que lui n'a rien du prolo mal dégrossi comme il peut sembler de prime abord, que sa culture est immense et dépasse largement la somme des nôtres, qu'il peut être d'une finesse, d'une délicatesse infinies. Ses qualités sont aussi ses défauts car quand il commence à parler plus rien ni personne ne peut l’arrêter plongeant son auditoire dans un mutisme frustrant. Mais là son "heuuu..." n'était pas le prélude à un cours de géo-politique et il posa sa question, la question essentielle, vitale, la reine des questions, celle qui supplante et rend superflues toutes les autres et qui fit exploser de rire "F":
- qu'est-ce qu'on mange ce soir ?
Publié par Fredi M. le février 26, 2018

La canopée (archive)

 


 

 

 

 mardi 27 février 2018
La canopée


Dimanche 15 mai 2016

La canopée
Ma belle et moi décidâmes en ce dimanche d'aller juger sur pièces cette fameuse canopée qui, dit-on, prend l'eau de partout à la moindre averse, puis éblouit les riverains dont les fenêtres ont la malchance de donner sur elle dès que le soleil revient.
Nous fîmes le long voyage de la façon la plus simple et la plus directe qui nous paru, c'est à dire en métro. Ça faisait un bail que je ne l'avais pris ce métro, et s'il y a une chose qui ne change pas, à Paris, c'est bien l'odeur du métro. C'est la réflexion que je me faisais en descendant les escaliers qui mènent aux quais. On peut bien rénover régulièrement ses faïences, renouveler sa signalétique, le prolonger, lui trouver de nouvelles ramifications, son odeur reste inchangée, mélange de poussières fossilisées et de caoutchouc chauffé. L’ADN du métro c'est son odeur, la même qu'il y a trente ans quand frérot et moi levions le pouce pour une virée dans la capitale,à l'embranchement de la nationale 20 à Étampes, qu'arrivés Porte d'Orléans nous nous engouffrions dans les entrailles de Paris, partions vers l'inconnu.
La seule différence c'est qu'il n'y a plus le chant des grillons : les grillons se nourrissaient des restes de tabac de mégots des usagers et ont crevé de faim quand l'interdiction de fumer dans le métro fut adoptée.
Les Halles donc. Et son quartier martyr, martyr qui dure depuis...depuis toujours semble-t-il.
Rien n'aura été épargné au ventre de Paris depuis la destruction des pavillons Baltard : des années d'attente avant que ne surgisse du trou un truc improbable très vite démodé, infréquentable. Démolition à nouveau puis vaste et interminable chantier, non fini à ce jour, pour un résultat qui, c'est le moins qu'on puisse dire, ne convainc guère. "Carapace de tortue", "dessous de gradins de terrain de foot", les bribes de conversations entendues au hasard étaient  peu flatteuses.
Les pavillons, comme toute la vie qu'il y avait autour d'eux, ont du mal à être remplacés. Peut-être étaient-ils irremplaçables ?
Mais, mais...bientôt, c'est promis, vous pourrez vous promener dans les jardins "Nelson Mandela", à la Mairie de Paris on a encore fait preuve d'imagination et d'ouverture...
Plus loin la fontaine des Innocents, noyée dans un marché de bibelots made in China, tombe ruines sans qu’apparemment on ne puisse trouver un centime d'euros pour la sauver, souffre d'un désintérêt total quand la canopée a coûté un bras aux parisiens. De plus elle se prend (photo) un penalty immérité, injuste, sifflé par je ne sais quel arbitre municipal qui doit bien rire de sa bonne blague.
Pour vous j'ai fait quelques photos de ce quartier devenu sans intérêt, que même les putes ont fui, c'est vous dire.






Aux Buttes-Chaumont (archive)

 

 


 

 Jeudi 9 juillet 2015
Aux Buttes Chaumont




Par cette belle journée d'été sans prétention caniculaire, je suis retourné dans ce quartier où je n'avais plus remis les pieds depuis une éternité. J'ai tout revu. Ça n'a pas tant changé que cela si ce n'est qu'il semble désormais difficile de trouver une boucherie autre qu'halal. Mais enfin je n'étais pas là pour faire mes courses et puis les boucheries halal font partie du patrimoine culturel français, s'pas.
Quel choc tout de même. Tout m'est revenu dans la g... Des pans entiers de mon passé, amical et professionnel, d'un coup ont resurgi de ma mémoire. Les studios n'existent plus depuis longtemps, ils ont laissé la place à un ensemble résidentiel assez propret, de bon standing. Mais le bar Fleuri est encore là, toujours aussi désuet, un isolat de France qui résiste dans son charme d'autrefois. Celui des Comédiens aussi est toujours là, mais il fait pâle figure et n'a probablement plus vu passer de comédiens depuis longtemps. Au siècle dernier on pouvait y trinquer au comptoir et sans façon avec les artistes en vogue du moment. C'est bien fini tout ça. Un peu plus loin le bar de l'Olympe, où Zeus m'appelait son petit frère, est devenu un restaurant berbère.
Le long du parc on joue encore à la pétanque. Tout change pour que rien ne change finalement. Je suis entré dans le parc. C'est pour moi le plus beau de Paris, le plus romantique. Il s'y dégage une atmosphère très 19ème, et ça tombe bien vu que précisément nous y sommes au cœur du 19ème (arrondissement). La cascade artificielle ne coulait pas. Sans doute à cause d'une pénurie d'eau. J'ai voulu grimper au temple d'amour (dit "temple de la Sibylle"), mais son accès était condamné à cause d'une falaise qui menace de s’effondrer. Espérons que la Mairie de Paris fasse au plus vite le nécessaire avant que le temple ne s'écroule dans le bassin, qu'entre deux loukoums Mme Hidalgo trouve encore le temps de penser au patrimoine dont elle a la charge.
J'ai regagné la sortie par le pont des Suicidés, songeant à toutes ces années qui avaient défilé si vite : hier encore dans ce décor j'étais un jeune homme insouciant. 

Ecobuage suivi de Rêve érotique (archive)

 

jeudi 15 juillet 2021
Écobuage


 


Fredi débroussaille.

Avec une machine qui fait un bruit infernal, vous laisse les bras en compote, tout tremblotant.

Alors évidemment, quand j'éteins la bécane, que je regarde le travail accompli, je suis content de moi. Mais je sais combien le combat est inégal : qu'une année vienne à manquer de bras vigoureux, et toute une jungle de nuisibles, opportuniste, faite de ronces et d'arbustes épineux dans une connivence diabolique, aura effacé tous mes efforts.

Fredi débroussaille.

Et ça m'a fait me souvenir d'un temps lointain, quand R. venait me donner un petit coup de main dans ma lutte contre l'envahissante nature. Il arrivait avec une demi douzaine de vieux pneus, quelques ballots de paille. On disposait le tout dans des endroits stratégiques, puis il aspergeait la paille d'un peu de gasoil. On grattait une allumette.... Alors on ouvrait une "16" pour contempler le spectacle, les belles volutes noires qui s'envolaient dans le ciel bleu de l'automne. C'était rigolo... On appelait ça l'écobuage... J'suis pas sûr que c'était très "eco"...

Mais c'est fini tout ça.

Forbidden !

Allumez seulement un tas de branches mortes qu'aussitôt un drone, tel un gros bourdon, viendra stationner au-dessus de vous. Et dans la quinzaine vous recevrez la contredanse bien salée qui vous fera passer vos envies pyromanes.

On ne peut plus rien faire...

vendredi 26 août 2022
Rêve érotique


C'est la meilleure celle-là! Voilà que je me remets à faire des rêves érotiques comme un jeune collégien boutonneux. Ça s'est produit la nuit dernière. Dans mon rêve j'avais rendez-vous avec une conseillère, genre conseillère de Pôle Emploi ou quelque chose d'approchant. Il s'agissait de faire le bilan de ma situation en vue d'un nouveau travail, moi qui n'ai plus besoin de travailler depuis quelques temps déjà. Elle me fit entrer dans son bureau et me dit "je vous en prie asseyez-vous", formule qu'elle devait certainement répéter des dizaines de fois dans sa journée. Elle contourna son bureau, ce qui me permit de contempler le joli spectacle de sa taille fine et de ses hanches bien pleines, mais sans excès, dans une jupe étroite. De face c'était pas mal non plus: elle avait une chevelure ondoyante châtain foncé, des yeux verts, une bouche qui souriait constamment, une bouche faite pour le sourire, entre autres choses. Elle portait un haut avec un décolleté plongeant qui aimantait le regard, et j'avais du mal à me concentrer sur le sien.
Elle parcourait mon dossier avec un air franchement désolé, haussant fréquemment ses épaules dénudées. Elle se mit à triturer son stylo, et j'étais jaloux du stylo. Parfois elle inspirait longuement, la bouche entrouverte, et cela avait le don de faire gonfler sa jolie gorge. Parfois encore, elle se dandinait d'une fesse à l'autre sur sa chaise, et j'étais jaloux de la chaise.
Soudain le rêve pris une tournure inattendue (c'est fréquent dans les rêves) . Elle commença à me parler de sa vie privée, de son premier mec qui était un con fini et qu'elle a largué rapidement, de l'actuel qui était tout aussi con mais dépensait un pognon de dingue pour elle. Ça se voyait d'ailleurs à ses bracelets d'or et d'argent, ses colliers fins, ses bagues luxueusement ouvragées. En matière d'hommes elle en connaissait un rayon... Il y avait maintenant dans la pièce une charge érotique qui devenait insoutenable. J'ai cru un moment qu'elle allait se lever, fermer la porte à double tour, et que nous allions régler ça vite fait bien fait sur son bureau, sur la pile de ses dossiers urgents à traiter. Ou bien encore j'aurais fait pivoter son siège (sont bien commodes ces sièges de bureau) pour une petite visite de courtoisie. Mais elle ne l'a pas fait. Peut-être attendait-elle que ce soit moi qui me levasse et la ferma cette porte. Mais je ne l'ai pas fait.
Alors l'entretien a tourné court. Elle m'a raccompagné à cette fichue porte en me souhaitant "bon courage pour la suite", formule qu'elle devait bien utiliser des dizaines de fois dans sa journée.
C'était assez frustrant comme épilogue...


La carte et le territoire (archive)

 

 


 

 mardi 27 février 2018
La carte et le territoire



La carte et le territoire (2015).

L'autre soir j'étais avec Monsieur Hervé Le Bras, émérite démographe grisonnant, en son château fortifié du douzième siècle du Bas-Poitou. Passant devant la porte en chêne cloutée de son bureau il me héla et m'invita de l'index et d'un clin d’œil complice à pénétrer son espace ultra-privé :
- venez, venez Fredi ! venez donc voir ce que je viens de recevoir en exclusivité.
Il déployait sous mes yeux une carte de France colorée.
- savez-vous ce que c'est que cela ? me demanda-t-il.
- Maître, il s'agit d'une carte il me semble, répondis-je humblement.
- oui Fredi...une carte. Mais pas n'importe quelle carte ! C'est la carte de la qualité de vie en France en 2015 ou, si vous préférez, là où l'on y vit le mieux. Tout ce que vous voyez en bleu, bleu clair, vert à la limite, c'est le top !
- je vois.
- vous voyez certes ! mais ne remarquez-vous rien de plus ?
Il remontait sur son nez ses lunettes, attendant ma réponse, savourant d'avance son triomphe facile sur l'ignorance que, malgré moi, j'incarnais magnifiquement à ses yeux.
- ben...c'est pas si mal ! Je m'attendais à pire franchement. Y'a beaucoup de bleu.
- ah Fredi ! Fredi !...on voit bien que vous n'y connaissez rien !
- en même temps c'est vous l'expert, vous l'invité quotidien de C dans l'air.
- c'est pas faux Fredi, c'est pas faux... Cette carte, notez le, recoupe tous les départements où le catholicisme est encore relativement vivace, du moins culturellement, et se superpose tout naturellement à celle où il fait bon vivre.
- maintenant que vous le dites en effet...mais je remarque aussi certaines zones où ce serait plutôt le protestantisme qui historiquement....
- vous pinaillez Fredi. Vous savez comme moi que tout ça c'est blanc-bonnet et bonnet-blanc. Et puis le protestantisme c'est tellement insignifiant chez nous. Non vraiment : c'est la vieille France Catho qui tire ses marrons du feu. Ça saute aux yeux. Mais pas aux vôtres visiblement
- mais alors, à contrario, on pourrait dire que celle qui s'en sort le moins bien, là où c'est tout rouge, d'où il faut partir dans les meilleurs délais, le Nord, Rhône-Alpes, l'antique Provence, c'est aussi celle où l'immigration est la plus forte, la plus invasive ? Cette carte c'est un peu la carte du mal-vivre ensemble non ?
- Fredi !!!... comment pouvez-vous dire une chose pareille ! Vous me décevez ! Ne seriez-vous pas un peu nazi par hasard ? Vous votez Le Pen ? Savez-vous seulement de quoi vous parlez ? Taisez-vous ! De grâce taisez-vous !
- Maître, cher Maître, c'est vous qui avez raison, vous qui êtes l'expert encore une fois. Mais posez donc un instant vos lunettes sur ce bureau que je vous montre un peu ce en quoi pour ma part je suis expert.
Publié par Fredi M. le février 27, 2018

Lendemain de cuite suivi de logement ouvrier (archive)

 

 


 
lundi 26 février 2018
Lendemain de cuite



Se lever parce qu'il le faut bien, sinon c'est que l'on est mort ; aller à la cuisine, allumer le feu sous la cafetière que nous avions judicieusement préparée la veille, ce qui nous évite d'y mettre deux plombes ce matin et de renverser la moitié du paquet de café à côté ; retourner au canapé, fermer les yeux encore deux minutes ; aller chercher café quand cafetière siffler, s'en servir une tasse ; intranquillité : avons nous oui ou non bien fermé le gaz ? Retourner à la cuisine pour constater que oui bien sûr, quelle idée, nous l'avions bien fermé. Revenir au canapé, goûter café trop chaud ; racler pituite au fond de la gorge ; dilemme : qu'en faire ? L'ava...non, quand même pas ! Se relever, éliminer pituite dans les W-C* ; puis de nouveau le canapé pour y boire une gorgée de café tiédi ; allumer la radio, l'éteindre aussitôt car y passe une chanson insupportable, sauf peut-être pour un jury de l'Eurovision, qui aggrave notre nausée, agace nos nerfs ; allumer cigarette, infâme cigarette, écœurante cigarette ; la poser dans le cendrier au milieu des mégots de la veille, la laisser se consumer bêtement ; parcourir d'un regard étonné la pièce comme si nous la découvrions pour la première fois alors qu'on y a ses habitudes depuis pas mal de temps déjà ; s'arrêter à la pendule en carton, vaillante pendule en carton, increvable pendule en carton, blanchie par la poussière, que nous avions achetée au Musée des Arts Décoratifs il y a une éternité à l'occasion d'une exposition temporaire ; le nom de l'exposition ? Ce n'est certes pas ce matin que l'on s'en souviendrait. Onze heures. Ecouter les sons qui montent de la rue ; pas de beaux sons dans ce boxon : sons de travaux, de klaxons, de civiques engueulades, sons de la vie normale ; se demander si la notre de vie l'est, normale ; se prendre la tête entre les mains, sentir son cœur battre dans ses tempes, se rassurer en constatant que si les coups sont forts, au moins sont-ils réguliers, bien espacés ; se promettre, se jurer, que jamais plus au grand jamais on ne se fera avoir ; reprendre espoir en se disant que notre cas ne peut aller qu'en s'améliorant comme nous l'avons lu récemment chez le Vieux..................

...............dix neuf heures. Mais dites moi : ne serait-ce pas l'heure de l'apéro ?

*Que des petits malins pleins d'humour rebaptisent, je l'ai vu, "Winston Churchill".

mardi 27 février 2018
Logement ouvrier
Ce soir il n'y avait rien dans le frigo. Enfin si, il y avait plein de trucs, mais rien qui me disait. J'ai dit à ma belle qui se nourrit d'un rien, elle, (ce pourquoi d'ailleurs elle est toujours aussi belle) : "je me casse, j'ai les crocs, j'vais manger un couscous".
Je l'ai laissée étonnée avec sa biscotte tartinée d'une crème au lait pasteurisé
en suspension devant sa bouche.
Au couscous je m'en suis mis ras la dent.
Puis, repu de boulettes et de brochettes, de vin gris, j'ai avisé dans cette rue autrefois populaire, toute une série de bagnoles de marques, rutilantes , pimpantes, arrogantes. A. venant me resservir une boukha, je lui fis part de mon étonnement :
- c'est quoi ça ? On n'est pas à Medellín ici !
- c'est devenu très cher ici tu sais... pas loin de 10000 le m2.
La rue, mignonne certes mais sans caractère particulier, est une suite de logements ouvriers bâtie au début du vingtième. Une ancienne rue de prolos quoi. Et j'aimerais que l'on réfléchisse à cela une seconde : des bourgeois, ou qui se vivent comme tels, qui s'en vont tous les matins bosser à la Défense, par exemple, le costume bien mis, regagnent le soir venu leurs chez eux qui étaient autrefois des logements ouvriers. Des logements ouvriers !
Quand un pays n'a plus à offrir à son élite, pour se loger, que de jouer les parasites ou les coucous dans l'habitat des classes inférieures du temps passé, c'est qu'il est définitivement foutu.
Ou que l'élite en question n'est composée que de prolos qui s'ignorent.
Publié par Fredi M. le février 27, 2018


De l'ambiguïté sexuelle à travers mes âges

 


 

 

 

 lundi 26 février 2018
De l'ambiguïté sexuelle à travers mes âges



De l'ambiguïté sexuelle à travers mes âges

Parfois on ferait mieux d'aller se coucher. Il n'est pas raisonnable de bloguer chez Nicolas à 22 heures passées et quelques verres de Languedoc à 13°5 ingurgités. On peut s'attendre à quoi dans pareilles conditions, je vous le demande ? A rien de bon et nous fûmes, lui et moi, comment dire...égaux à nous-mêmes pour faire court.
Mais un commentaire d'un dénommé renepaulhenry lu en cette fin d'après-midi fit resurgir en moi quelques souvenirs enfouis dans ma mémoire, souvenirs qui dessinent le jeune homme que j'étais dans les années 70-80.
Aujourd'hui, les ans en sont la cause, rien de ce qui pouvait m'arriver dans ces années là pourrait se reproduire.
Angers, fin des années 70, où je m'y trouve pour une formation. 17 ans à la limite, c'est le week-end et je suis devant un cinéma, le nez en l'air parcourant les affiches des films proposés. J'hésite entre deux qui m'attirent pareillement. Si je choisis celui-ci, c'est tout de suite et je dois prendre la file d'attente ; si je choisis cet autre, il y a une grosse demi-heure à poireauter. Je suis là, pensif, hésitant, indécis, quand je rabaisse mon regard sur la file qui grossit. Et soudain je le vois. Il m'était impossible d'échapper au sien, de regard, vu qu'il s'était planté pile dans mon axe, à quelques mètres de moi. Il me sourit et d'une inclinaison de la tête me fait une invitation sans équivoque. Quel âge peut-il avoir ? Je n'en sais rien mais moi j'ai celui auquel on perçoit ceux qui naviguent autour de la trentaine, voire moins, comme des vieux. Je reçois ça comme un choc, une agression, et pénètre dans le cinéma comme dans un refuge, achète ma place puis me rends aux toilettes. Non pas pour un besoin pressant : il me faut impérativement me regarder, me voir, comprendre, il me faut un miroir. Et dans la glace il y a qui ? Un garçon blond, pas même aux yeux bleus, les cheveux plutôt courts, pas spécialement beau sans être laid, un visage de jeune homme en pleine santé qui peine à sortir de l'adolescence mais qui sait déjà où vont ses préférences sexuelles. "Merde ! Je ne suis pas un pédé connard !"
J'ai oublié le nom du film.
Paris quelques années plus tard, je viens de passer d'un an tout au plus mes vingt ans et travaillote pour une grande entreprise. Un jour je prends l'ascenseur avec une femme qui doit avoir une bonne dizaine d'années de plus que moi. Elle ne m'est pas une inconnue et j'ai déjà eu l'occasion de travailler avec elle. Hiérarchiquement elle est ma supérieure. De pas grand-chose mais ma supérieure quand-même. Les portes se referment et, tout de suite, je sens qu'elle me dévisage fixement. Gêné je détourne la tête vers la paroi lisse de la cage. L'ascenseur va arriver à mon étage quand soudain elle me lance cette question que je laisse sans réponse :
- ange ou démon ?
Ainsi donc, pour les hommes comme pour les femmes, j'apparaissais en ces temps là comme une proie à saisir, une innocence à déniaiser d'urgence, par devant ou par derrière.
Niais sans doute je devais l'être un peu ...
Toujours dans ces années-là, dans une autre entreprise, un collègue fort sympathique au demeurant, vint un jour s’asseoir à ma table. On discute de tout et de rien puis il en vient à parler fringues. Il me dit :
- toi, ce qu'il te faut c'est du cachemire. Tu es fait pour porter du cachemire.
- oui ben oublie : c'est pas avec ce que l'on est payé ici que tu me verras demain avec une veste en cachemire !
- mais moi, tu sais, ma passion c'est la couture, et du cachemire je peux en avoir à pas cher. On peut s'arranger tu vois.
On aura beau dire, les stéréotypes ont la vie dure...coiffure, couture, les homos ont bien des prédispositions pour des activités qui ne vous viendraient jamais à l'esprit...M'enfin je me laisse séduire... pour la veste en cachemire. Mesures furent prisent et, quelques semaines après il m'annonce qu'elle est prête.
- tu me l'amènes demain et tu me dis combien je te dois ?
- oui...ou mieux : on peut se faire une bouffe chez moi...comme ça tu comprends s'il y a des retouches à faire ce sera plus simple.
J'ai parfaitement compris. D'un coup.
- elle m'ira très bien, j'en suis sûr !
Je l'ai payé un prix dérisoire et nous sommes restés amis. La veste, bien taillée, me fit beaucoup de profit et longtemps fut parfaite pour mes frêles épaules.

Contrairement à ce que dit renepaulhenry, il n'y avait pas d'ambiguïté pour moi, il n'y en avait que dans le regard que les autres portaient sur moi.

Faut-il le regretter ou s'en réjouir, ce genre de situation s'est considérablement raréfié.
Publié par Fredi M. le février 26, 2018



Les rollmops de Bruxelles (archive)

 


 

 

 mercredi, janvier 13, 2021
Les rollmops de Bruxelles

 

 

 Depuis quelques jours je traîne sur le blog de BORIS FAURE  (oui, celui-là même qui a beaucoup casqué et qui se décrit comme un exilé à Bruxelles).

Exil pas trop lointain et moyennement dépaysant je pense. Mais là n'est pas la question. Son séjour à lui me fait remonter des souvenirs déjà lointains. Avec un ami nous avions entrepris de visiter la Belgique durant une dizaine de jours. Anvers, Bruxelles donc, mais aussi Bruges, ses canaux et ses musées, la désolée Ostende dont les tours de bord de mer semblent s'enfoncer dans le sable. C'était une visite "culture et bonne chère". À Bruxelles il faut éviter les restaurants de la grande place, leur préférer ceux de la place Sainte Catherine dite du marché aux poissons. Pour finir la soirée on ira dans ce bar magnifique, complètement dans son jus art-déco*, "La Mort Subite", au bout des allées de la Reine. À Bruges, là aussi sur la place du marché aux poissons, on n'évitera pas Den Gouden Karpel, qui doit vouloir dire "La Bonne Carpe" mais mon flamand est hésitant.

Mais c'est une anecdote que je voudrais raconter.

Nous étions à Bruxelles et revenions des alentours de la place Ste Catherine. Nous attendions que le flot des bagnoles daigne s'arrêter quelques minutes pour traverser une longue et large artère. P. me touche le bras et me dit :

- Oh ! Je t'offre des rollmops ! Tu as déjà mangé des rollmops ?

Je n'en avais jamais mangé

- Tu verras, c'est délicieux, une spécialité des pays nordiques.

Tout en parlant il me désignait une boutique de l'autre côté de la rue.

Nous traversâmes mais en approchant du but mon ami me dit :

- J'ai l'impression qu'il y a un problème...

Il y avait bien un problème...

Une odeur d'huile à frites mille fois recuite s'échappait de l'échoppe : de la boutique ancestrale ne restait que l'enseigne vert bouteille qui annonçait fièrement en lettres d'or "ROLLMOPS" qui avait attiré l'œil de P., et les montants de sa devanture également vert bouteille décorés de motifs dorés façon art nouveau : elle était devenue... un kebab.

Mon ami en fut fort contrarié et me dit :

- Tu vois, c'est à ce genre de détail que l'on mesure la décadence d'une civilisation.

À l'époque j'avais trouvé qu'il exagérait un peu, mais en y repensant aujourd'hui, je suis bien convaincu que c'est lui qui avait raison.

  *Je ne crois pas me tromper de style mais on me corrigera si besoin.
 

Les frangines (archive)

 


 


dimanche, mai 02, 2021*
Les frangines

 * Depuis cette date on ne les voit plus dans le quartier....

Je ne sais pas si ce sont des frangines ou de vieilles copines. Mais quand elles s'en vont de la rue Daguerre, après avoir tourné la manivelle de leur boite à musique et poussé la goualante, elles marchent d'un même pas fatigué sur leurs cannes fragiles, comme des jumelles.

Qui partira la première ? Elles semblent si inséparables, si indissociables, que l'on a du mal à imaginer que l'une survivrait à l'autre. 



Le Panthéon (archive)

 


 

 

 mardi 27 février 2018
Le Panthéon



mercredi 27 mai 2015
François Hollande ou le dernier spirite



François Hollande, en bon socialiste, a donc fait sa petite balade au Panthéon. Les socialistes ont le culte des morts, c'est bien connu, ils n'aiment rien tant que de les déranger plutôt que de leur foutre la paix.  Faut dire que le Panthéon c'est un peu leur caveau de famille, comme dit Muray (qu'il conviendrait aujourd'hui de relire s'il n'était si barbant). Ceci-dit, avec deux cercueils vides, Président a surtout ajouté du vide au vide, à cette grande coquille vide qu'est le Panthéon, et cette simple image prouve que le socialisme c'est du flan pour ne pas dire une escroquerie.
Ils aimaient bien aussi, ces socialistes, dialoguer avec les morts sacrifiant à une mode venue des Etats-Unis qui s'appelait le spiritisme : en effet depuis la révolution les morts ne ressuscitent plus mais vivent à côté de nous en bon voisinage. Et Hollande cet après-midi a taillé la bavette avec quatre d'entre eux. Avec nous aussi bien sûr, même si je ne l'ai pas personnellement écouté. Je vois bien dans ces grands barnums, comme toujours et encore, qu'il y a une partie de notre histoire que nous ne devons en aucun cas oublier, quand on nous dit que tout le reste est à jeter aux orties. Comme beaucoup sans doute, j'en ai soupé de ces leçons de morale.
J'aime pas le Panthéon : d'une église ils ont fait un cimetière, un Père Lachaise lugubre pour des personnages qu'ils voudraient illustres et grands mais qui ne sont pas exempts, loin s'en faut, de tâches et de fautes, dont la part d'ombre sans doute, se décèle moins dans ces lieux obscurs. Prenez la main de Rousseau qui illustre ce billet : je ne sais jamais s'il veut qu'on le sorte de cet enfer ou s'il aimerait nous y entraîner. Qu'il y reste. Quant au pendule de Foucault quelle arnaque ! C'est Moustapha, un pote sénégalais qui est gardien de nuit là-bas qui a découvert le pot-aux-roses, m'a craché le morceau sous le sceau du secret. Une nuit où il n'arrivait pas à s'endormir (ce qui est pourtant l'essentiel de son boulot) il a entrepris une ronde et surpris Rousseau justement, tout fripé, tout momifié, en train de remonter le mécanisme. Dérangé dans sa tache nocturne, il est reparti en sautillant, poussant des cris de faune. Moustapha qui pourtant en a vu d'autres en a eu la chair de poule. Le lendemain devant une visite d'écoliers le pendule s'est arrêté.
Non vraiment. Tant qu'à visiter des nécropoles je conseillerais plutôt le Père Lachaise : au moins on y respire.
Publié par Fredi M. le février 27, 2018