samedi 23 mars 2024

TIME (archive)

 

 


 

 Time



Il sortit du métro vers 08h40, il était en avance. La pluie avait cessé mais la dalle était encore ruisselante. Son rendez-vous était à 09h00. Il s'assit sur un banc de pierre trempé, sans dossier, contempla les nuages qui défilaient au sommet des tours. Autour de lui, partout, des gens pressés se pressaient.
À moins dix il se leva et franchit les portes de la tour N° 2 qui s'ouvrirent automatiquement devant lui. Il se dirigea vers l’accueil, juste avant les portillons, où une jeune femme souriante lui demanda l'objet de sa visite.
- j'ai rendez-vous avec F. de la M.
- vous avez une pièce d'identité ?
Il remis son passeport, elle lui donna un badge, provisoire précisa-t-elle.
- je préviens de votre arrivée.
Quelques minutes après un homme, tout sourire, sortit d'un ascenseur. Il ne semblait pas beaucoup plus âgé que lui, portait un costume très près du corps, chemise ouverte, des chaussures pointues aux tons variables qui conjuguaient le brun, le fauve et le marron. Il respirait une aisance tranquille, une maîtrise de tous les instants, jusqu'à cette calvitie précoce qu'il avait choisi d'ignorer en rasant ses derniers cheveux.
- ravi de vous recevoir ! vraiment ! vous me suivez ?
L'ascenseur s'arrêta au cinquième.
- je vous offre un café ?
Il en avait déjà bu beaucoup, mais il lui sembla discourtois de refuser celui-ci.
- vous avez la même à votre étage, crut bon de préciser F.de la M. en désignant la machine à café à l'intersection de deux couloirs.
- mon bureau est ici, je vous en prie...asseyez-vous.
- C'est peu dire si nous avons été éblouis par votre CV ! si jeune... comme quoi le nombre des années...
Il chercha la maxime exacte et, ne la retrouvant pas :
- enfin vous voyez ce que je veux dire... voici votre contrat. La période d’essai mentionnée est purement formelle, il va de soi qu'elle ne vous concerne pas.
Claude tenta de lire les lignes qui se bousculaient sous ses yeux, se chevauchaient, s’enchevêtraient et se brouillaient. Il repéra "lu et approuvé" "date et signature" en bas de la page.
- vous avez un stylo ?
- oh oui pardon ! tenez... pardon...
Et il signa.
Alors F. de la M. se leva. Il eut cette formule qu'il trouvait géniale, si appropriée en de pareils moments :
- bienvenue chez vous !
Et il lui serra vigoureusement les mains comme à un ami de longue date.
- vous connaissez le chemin désormais ! si vous avez la moindre question sur l'évolution de votre carrière, si vous voulez faire un point sur votre future retraite...c'est prématuré j'en conviens... bref...vous connaissez le chemin ! Votre bureau est deux étages en dessous du mien, je vous laisse le découvrir, vous le trouverez aisément.
Claude se trompa d'étage.
Il pénétra dans une salle de réunion où des tables de bois blanc étaient agencées en forme de U. Au fond, à gauche, sur un mur, il y avait un écran et un paperboard. À pas timides il s'avança. Derrière les baies vitrées les façades de verre de l'immeuble voisin renvoyaient les reflets d'une façade de verre. Il s'approcha encore et, baissant les yeux, il vit sur le trottoir opposé un groupe de trois hommes et une femme qui, épaules rentrées, dos voûtés, insuffisamment vêtus dans cet espace sans abri, tiraient hâtivement sur leur cigarette.
Il retrouva son bureau.
Au moins lui avait-on épargné l'open space.
Il disposait d'un ordinateur flambant neuf, d'une imprimante personnelle et d'une photocopieuse, d'une corbeille à papiers signée Philippe Starck.
Au mur il y avait une pendule, très sobre, très design.
Elle indiquait 09h50.


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Mais en gens bien élevés tout de même...