vendredi 26 avril 2024

Mon amoureuse


Pour des raisons qui la regardent, elle se faisait discrète, étrangement absente. Mais depuis quelques jours la revoilà, pimpante, avec la même énergie que je lui connais année après année. Ce soir elle a particulièrement apprécié mon curry de cochon, m'a donné l'impression de faire une grande découverte. Le piment dont j'abuse dans ce genre de recette l'a mise en grande joie, au point de renoncer à son droit à l'image. C'est ma Lilye, mon amoureuse. Je serais bien incapable de dire son espèce, sa race ; elle aime mes fonds de plats, mes jeux et mes caresses. Tout à l'heure je lui ai dit qu'il était temps de remonter sur sa colline, que là-haut il y avait quelqu'un à qui elle avait des comptes à rendre, que nous nous reverrions demain. Mais elle s'est allongée sur le sol trempé de ma terrasse, m'a lancé un regard implorant. Dans ces moments-là c'est difficile de faire preuve de fermeté : l'envie est grande de passer la nuit avec elle. 

C'est ma Lilye, qui danse comme un cabri à chacune de nos retrouvailles :



lundi 22 avril 2024

Février en avril

 


Moi, vous me connaissez, je n'ai pas peur des mots, j'aime bien qu'on me les dise. Je suis par nature un homme ouvert à tout, disposé à tout entendre pourvu qu'on m'explique. Ainsi du réchauffement climatique qui serait responsable des températures polaires que je subis à "S", de ce mois de février en avril qui serait la preuve irréfutable que nous allons tous cramer demain, je dis d'accord. Dans ma grande tolérance, je veux bien accepter tous les sophismes, toutes les démonstrations savantes ; je suis même prêt à considérer notre bonne vieille terre à l'aune de graphiques abscons. 

En revanche, si d'aventure on en venait à trop insister, il ne faudra pas s'étonner d'une généreuse distribution de pâtés de phalanges, et que certains en viennent à moucher rouge...

dimanche 21 avril 2024

"S", encore et toujours



À "S" depuis bientôt deux semaines, où le printemps se fait attendre. Encore que ce ne serait pas si désagréable, s'il n'y avait ce fucking mistral. Je sais bien que ce fichu vent fait partie de l'identité de la région, mais parfois j'aimerais qu'elle la mette un peu en veilleuse, son identité...

La rivière coule en abondance, et j'ai dans l'idée que nous ne devrions pas manquer d'eau cet été. Mais j'ai aussi dans l'idée d'avoir pensé et écrit exactement la même chose il y a de cela un an. Avec une suite très décevante...

L'autre jour ma belle et fiston étaient encore là. Avec fiston nous venions de terminer une partie d'échecs et nous étions rapprochés du feu. Fiston roulait une cigarette. À côté de nous restait l'échiquier, où mon roi défait, lamentablement coincé, témoignait de ma déconfiture, expédiée en quelques minutes. Fiston, tout en léchant  la gomme de son Riz-La-Croix, me dit :

- tu sais le cerveau c'est un muscle, si tu t'entraines, un jour peut-être, tu me battras.

Il adore me chambrer... 

Puis il ajoute:

- d'ailleurs les échecs sont un sport... 

- ah oui ? 

- oui. Et comme pour tous les sports il y a des compétitions "masculines" et "féminines", car nos cerveaux sont faits différemment. La première femme classée, une Chinoise je crois, se trouve très loin derrière les hommes.

Moi qui, sans être un phallocrate, n'est pas non plus un adepte forcené de l'égalité homme-femme, m'en suis trouvé choqué.

- comment !?!? Mais les échecs c'est avant tout une activité cérébrale non ? On devrait pouvoir organiser des compétitions mixtes !

- on devrait... D'ailleurs ça existe... Pour la rigolade...

- autant je suis absolument contre qu'un homme transgenre participe à des compétitions féminines, autant je n'ai aucun problème avec des tournois d'échecs mixtes. Si je devais y participer, la seule chose qui pourrait me troubler serait un décolleté trop plongeant... là je risquerais d'être mat plus rapidement encore que ce soir...

Ma belle, qui écoutait notre conversation, me dit :

- tiens ben pour la rigolade, tu en fais une contre moi ? Tu noteras que je n'ai pas de décolleté...

Vous savez quoi ? 

J'ai perdu... 



dimanche 14 avril 2024

"Climats", ou la France d'avant la catastrophe



Avec "F", qui est la bonté faite homme, nous avons fait les derniers kilomètres qui nous séparaient de "S".

En dépit des aléas climatiques, "S" se porte comme un charme. Je crois qu'elle en a vu d'autres. 

Nous sommes entrés dans la maison. "S" sentait les feux de cheminée éteints, les vieux plats refroidis ; son humidité accumulée durant tout l'hiver nous tomba sur les épaules. Tandis que j'ouvrais les volets, "F", qui arpentait les pièces, s'est arrêté devant ma bibliothèque.

- c'est curieux ça... 

- quoi ? 

- on dirait la bibliothèque de "P". En tout cas ça lui ressemble beaucoup. 

- et pour cause : c'est la sienne. Je ne sais plus pourquoi mais il l'a amenée ici, un an avant de mourir. 

"F" regardait les dos. 

- tiens si tu t'ennuies tu peux lire ça, c'est joli. Je te le retourne pour que tu le retrouve facilement. 

Le livre qu'il m'avait retourné, que je lis en ce moment, a pour titre "Climats", D'ANDRÉ MAUROIS

Au travers d'intrigues amoureuses, le roman court de la belle époque aux années folles. Avec sa parenthèse assassine. Avec "Climats", André Maurois s'adjuge, paraît-il, un lectorat féminin. Il faut dire que même remarquablement écrit, ça reste un peu cul-cul la praline, dans le genre d'un Marcel Proust, évoqué quelque part comme étant un "chroniqueur mondain". 

Malgré tout voici un livre qui donne à voir ce qu'a pu être notre civilisation, sans crime "d'honneur", sans couteau, où l'altérité n'était pas un obstacle, un sacrilège, un péché à cacher, mais, pour les audacieux comme les timides, une frontière fragile et délicieuse, à franchir avec un bouquet de fleurs et quelques bons mots, une frontière à ne surtout pas défendre au risque de tout perdre : on abdique à genoux devant une femme. La masculanité toxique est remise à plus tard. Ou à jamais. 

Une époque où la femme, quoi qu'on en dise aujourd'hui, avait la place de choix : la première.

L'amour, pas la guerre. 







PS : Je ne suis pas sûr que la fin de ce billet soit très claire. Pas grave... On fera mieux la prochaine fois. 


mercredi 10 avril 2024

mercredi 3 avril 2024

De la rigueur en macronie

 

 

 

"Je n'ai sûrement pas été claire": Prisca Thevenot corrige ses propos sur la tentative d'attentat déjouée, qui n'a pas eu lieu pendant le week-end de Pâques.

Ça doit être ça...

samedi 30 mars 2024

Elle et moi




Ce n'est pourtant pas moi qui lui change sa litière, lui remplis sa gamelle, la brosse tous les matins. 

Et pourtant... 

Et pourtant c'est dans le creux de mes jambes qu'elle vient se blottir et ronronner le soir, au grand dam de ma belle.

Plus que sa tambouille, elle aime mes caresses. 

jeudi 28 mars 2024

L'argent des pauvres





Ah la bonne idée que voilà ! L'idée de génie ! Il n'y a plus de thunes dans les caisses ? Allons piquer l'argent des chômeurs ! Même ceux de plus de 55 ans que les entreprises s'arrachent comme chacun sait ! Celui des malades de longue durée !

Remarquez que l'idée n'est pas nouvelle. Depuis Alphonse Allais nous savons qu'il faut toujours aller chercher l'argent là où il se trouve : chez les pauvres.

Il faut redonner aux gens le goût du travail, prendre exemple sur l'Allemagne. L'Allemagne ? Excellent exemple ! L'Allemagne est ce pays qui n'a pas délocalisé ses entreprises (elle commence seulement à le faire en raison du coût de l'énergie). L'Allemagne est ce pays qui n'a pas désindustrialisé, qui a donc encore des jobs à proposer et même mieux que des jobs. En comparaison notre économie fait pâle figure... tout le monde ne pourra pas faire la plonge dans les arrière-salles des restaurants. Sans compter que ces boulots, comme ceux du bâtiment, bien ingrats, sont déjà préemptés. 

Pouvait-on imaginer d'autres pistes, comme réduire le coût de l'immigration ? Faire en sorte que la France ne soit plus l'hôpital du monde ? Que n'importe qui débarquant à Roissy ait les mêmes droits qu'un Français ? Vous n'y pensez pas ! Nous avons des valeurs !

Non, décidément il est beaucoup plus simple d'appauvrir toujours plus les Français qui n'en peuvent mais.

Jusqu'où ? 

mardi 26 mars 2024

De l'Hôtel de Soubise à anatomie d'une chute



Ce dimanche dernier, ma belle et moi, parcourions les rues du très gay-friendly quartier du Marais. Nous sommes entrés aux Archives, aussi appelé hôtel de Soubise. Il y avait là une exposition sur les sacrilèges. À ne pas confondre avec les blasphèmes (Le sacrilège (profanation d'objets sacrés) et le blasphème (insultes adressées à Dieu et à ses saints)
Pour cette exposition toutefois, la notion de sacrilège s'avère un peu plus vaste, plus floue, puisqu'elle s'étend du religieux jusqu'à notre bonne vieille Marseillaise. On y voit par exemple des images d'un Jacques Chirac offusqué, quittant le Stade de France quand cette dernière fut copieusement sifflée, à l'occasion d'un match de football dont on a oublié le score et les équipes en compétition. Mais aussi ce dessin, très drôle je trouve, où l'on se moque de la reconstitution d'une relique (lire la phrase au bas de la photo).



L'exposition étant somme toute assez succincte, nous en avons très vite fait le tour. Alors, pour conclure ce long dimanche de grisailles, nous sommes allés au cinéma, voir ce film oscarisé, césarisé, dont on dit le plus grand bien : "Anatomie d'une chute". Et alors là je dois dire que je ne comprends plus rien. Certes le film est bien ficelé, les dialogues ciselés, de l'ensemble se dégage un réalisme très réussi. Tout cela je le concède volontiers. Malgré tout je n'ai pu m'empêcher de ressentir une forme d'ennui dans ce quasi huis-clos (tribunal). Pour le moins j'attendais un épilogue spectaculaire... qui n'arriva pas. Je ne vais pas dévoiler la fin (bien que la réalisatrice l'ait déjà fait dans une interview), mais je dois dire qu'elle nous a laissé, ma belle et moi, très perplexes, dubitatifs.
L'impression définitive étant que nous avions vu là un téléfilm de bonne facture, soigné, un truc pour Arte, ou France 3 Regions, mais qui ne méritait pas tant de louanges.



Le casse de l'oncle Tom




Je revois tante Mathilde sur le seuil de ciment, avec un grand sourire de joie, essuyant ses mains ménagères à son tablier de coutil. Y avait mon papa dans ce temps-là ; pas tellement joyce de se pointer chez Dugadin, mais faisant bonne figure pour ne pas contrister maman. Le vieux Tom ne se trouvait jamais là. À croire qu'il n'habitait pas sa ferme. Il surgissait d'ailleurs, toujours : de l'écurie, du hangar, du potager, d'un sentier qu'on avait pas remarqué entre les hautes touffes d'ortie.

Je vais retrouver cette odeur de cellier et de vieux bois, de javel aussi, car tante Mathilde, avant de balayer, arrosait toujours le sol avec avec un gros entonnoir à anse contenant une lotion javellisée. Elle décrivait des 8 à n'en plus finir, qui se superposaient et se substituaient longtemps sur le rude plancher. Ah ! Mes ombres ! Personnages de ma petite enfance dont je traîne le deuil sur les rivages de la vie, pareil à une vieille veuve bretonne qui s'obstine à regarder la mer

Frédéric Dard, "Le casse de l'oncle Tom", 1987.


L'autre jour il faisait beau. Alors je suis parti prendre un rayon de soleil sur un banc du square voisin, avec un livre sous le bras. Une activité de presque vieux que je deviens. Le livre c'était un vieux San-A déniché dans ma bibliothèque: le casse de l'oncle Tom daté de 1987. San-Antonio faisait mes délices de jeune homme, quand je prenais le train Corail pour une destination ou une autre. À 40 années de distance, je l'ai retrouvé avec plaisir, le trouble dans l'entrejambe en moins. Mais là n'est pas la question. Relire l'un de ces vieux romans de gare c'est mesurer à quel point nous avons changé d'époque. Plus rien des lignes que je parcourais ne pourrait s'écrire aujourd'hui. Trop de sexisme bon enfant, trop de plaisanteries à connotation raciales, plus personne je crois ne publierait Frédéric Dard de nos jours. Aussi je tiens ces petits romans dérisoires comme autant de biens précieux. Et pourtant, en cette année 1987, il en fait des efforts Frédéric Dard! Il intègre à son équipe, au grand désarroi de Béru, monsieur Blanc, sénégalais, balayeur de son état, dont la mission jusqu'alors était de conserver propres les trottoirs autour de Saint-Sulpice, et qui va s'avérer un excellent flic.

Je crains malgré tout que cela soit bien insuffisant pour le faire entrer en odeur de sainteté auprès d'une Sandrine Rousseau.

Quoi qu'il en soit, si vous traînez sur les vide-greniers, surveillez bien les bacs à livres et achetez tous les San-Antonio que vous pourrez y trouver : je suis certain que vous ferez un bon placement.

PS : ceci n'est pas une archive. 

lundi 25 mars 2024

La soupe au chocolat (archive)

 


 

 

 samedi 11 mars 2023
La soupe au chocolat

Elle arrivait le plus souvent, et le plus logiquement, vers la fin du mois. Pour ma mère c'était un crève-cœur, pour nous c'était jour de fête, ça nous changeait de la soupe au potiron. Pour elle cela voulait dire que le frigo faisait du froid sur du vide, quand on ne l'avait pas  déjà éteint. Nous étions trop jeunes pour comprendre la signification de la soupe au chocolat. Peut-être mon frère aîné la comprenait-il, lui qui était le seul à ne pas s'en réjouir, à ne pas partager notre joie.

La recette était simple : ma mère versait dans une casserole un reste de lait qu'elle allongeait d'eau. Puis elle récupérait dans la panière tous les vieux croûtons délaissés, si durs qu'elle avait parfois du mal à les briser, les jetait dans la casserole. Elle saupoudrait le tout d'un peu de cacao, et c'était le festin.

Mes parents appartenaient à cette génération pour laquelle terminer dans le rouge, devoir des sous à la banque, aurait été l'humiliation suprême. À la banque ils leur devaient l'emprunt pour la maison. C'était beaucoup mais c'était tout. Pour le reste il fallait faire avec ce que l'on avait.

L'autre jour ma belle et moi avons fait un déjeuner de roi :

Crevettes sauvages d'Alaska, avocats d'Israël et son filet d'huile d'olives, première pression à froid, de Tunisie, salade rougette, œufs pochés au vinaigre balsamique, picodons d'Ardèche, ananas Victoria de la Réunion.

Ça méritait bien un rot de conclusion, que je me suis permis discrètement...

Le soir venu je me suis dit qu'après un tel repas je pouvais faire l'impasse sur le dîner.

Je regardais Darius qui, comme il le fait invariablement depuis un an, nous expliquait encore et encore combien la guerre de Poutine est un contresens historique, combien son armée est naze, archi naze. Ne venait-elle pas encore de perdre pas moins de 130 chars, dans la répétition d'une erreur déjà commise aux premiers jours de la guerre ? Une telle désinvolture avait de quoi surprendre, laisser pantois...

C'est à ce moment là que mon estomac s'est de nouveau manifesté : j'avais faim, une faim dévorante.

Le frigo faisait du froid sur du vide. Un frigo Potemkine en quelque sorte. Ne restait plus que quelques feuilles de salade, une tablette de beurre entamée. Sur la table, un quignon de pain, une banane oubliée qui n'en finissait pas de noircir. J'ai ouvert le quignon de pain, étalé un peu de beurre, écrasé la banane, trouvé un peu de sucre de canne et saupoudrer le tout...

C'était bon comme une soupe au chocolat.


La véritable histoire des œufs de Pâques (archive)

 


 

 

 dimanche 9 avril 2023
La véritable histoire des œufs de Pâques

 


   À l'heure où nos fêtes chrétiennes font le bonheur des chocolatiers, des pâtissiers et autres commerçants, à défaut de remplir les églises, je voudrais dire ici ce qu'était pour nous la tradition des œufs de Pâques.

Dans ma tendre enfance j'ai été enfant de chœur. Quand venait le moment de Pâques, notre curé (qui était en fait un abbé) nous chargeait d'une mission : aller bénir les maisons de la commune. Notre commune, ou paroisse, avait un rayon de près de deux kilomètre et une journée entière n'était pas de trop pour mener à bien cette mission. Nous partions à bicyclette, avec dans nos sacoches des sandwichs variés, et quelques paquets de chips, le bénitier accroché au guidon. Nous frappions aux portes des maisons, des fermes, et nous proposions la bénédiction. Durant la courte cérémonie nous entonnions ce chant (sauf Dédé qui chantait faux) :

Chétiens chantons, chantons, joyeux,

C'est notre Christ le Roi des cieux,

Qui ressuscite glorieux,

Alléluia, alléluia, alléluia !

Le bénitier, de faible contenance, se vidait rapidement au gré des soubresauts du vélo. Alors nous le complétions dans un ruisseau ou à une fontaine publique. Pour une maison garantie bénie à l'eau de rivière, les paroissiens nous laissaient quelques pièces, qui allaient en rejoindre d'autres dans une sacoche dédiée. Parfois, il faut bien le dire, des portes restaient obstinément closes, soit par radinisme maladif, soit par athéisme borné.

Mais il nous arrivait aussi d'atteindre des fermes éloignées, isolées ; pauvres. Je me souviens de l'une d'elles, leurs propriétaires travaillaient encore leurs terres avec des percherons. Pour eux il y avait encore un maréchal-ferrant au village. En remerciements ils nous offraient une douzaine d'œufs frais du matin. En cela ils respectaient à la lettre la tradition qui veut, en ce moment de joie, que l'on améliore l'ordinaire du curé en lui offrant de quoi faire un festin : œufs donc, mais aussi quartiers de viande, poules, légumes du jardin.

Nous repartions avec les œufs. Mais les ramener intacts au presbytère était un défi irréalisable. Alors, au premier tournant, nous nous arrêtions au pied d'un talus. A l'aide d'un morceau de bois nous percions les œufs à leurs extrémités (un peu comme tu casses ton ampoule de vitamines D si tu vois), et nous les gobions. Fallait avoir le cœur (et le foie) bien accroché. Nous l'avions.

Nous revenions avec une maigre recette... Beaucoup de ferraille, de rares billets.

Elle était d'autant plus maigre cette recette, qu'elle n'était pas destinée à aller dans les poches de la soutane de notre curé, mais à nous offrir un voyage : le voyage annuel des enfants de chœur. Nous n'étions que des enfants et les considérations financières nous passaient très haut au-dessus de nos têtes. En y repensant, je soupçonne que notre curé avait un carnet d'adresses de généreux et discrets donateurs pour faire la soudure ... Combien d'enfants ont vu la mer pour la première fois grâce à ces voyages ? C'était la version chrétienne du secours populaire...

Le voyage avait lieu au début du mois de juin. Je me souviens de l'un d'entre eux, au cours duquel nous allions découvrir la dune du Pilât. Dans le car ça sentait le jambon-beurre et la banane, le chewing-gum à la menthe. Nous étions turbulents, excités, comme on l'est dans ces âges. Notre curé faisait le voyage à l'avant, à côté du chauffeur. Parfois il se levait vers nous, réclamant un peu de calme. Son regard se posait sur chacun d'entre nous. Peut-être cherchait-il à deviner qui d'entre nous serait un jour son successeur...

De successeur il n'en a pas eu. L'église est fermée aujourd'hui, n'ouvre plus que pour les enterrements.

Voila en tout cas, ce qu'était pour nous la tradition des "œufs de Pâques".


La philarmonie de Paris-Pantin (archive)

 

 


 
mardi 27 février 2018
La philharmonie de Paris-Pantin



Mardi 26 mai 2015
La honte

                                             
                                                  La philharmonie de Paris-Pantin


J'ai honte. Oh oui j'ai honte. Mais mettez vous à ma place : il faut bien vivre et c'était une belle commande. On m'a dit :
- Il conviendrait que ça ne ressemble à rien, n'évoque rien, ne parle de rien mais à tout le monde. Vous voyez le topo ?
De ce point de vue là y'a pas à dire c'est réussi.
- l'idéal serait un bâtiment qui aurait tout autant sa place à Shanghai ou Abou Dabi. Voyez-vous Paris est une ville-monde. Ayez ça constamment présent à l'esprit en concevant votre projet.
Une ville-monde...mais où vont-ils chercher tout ça ?
On dit que l'on ne comprend certains auteurs qu'un siècle après leur mort. Je veux bien. Mais moi je ne me comprends pas moi-même. Je me sens comme cet accusé en garde à vue incapable d'expliquer son geste.
Non moi j'étais fait pour autre chose. Je viens trop tard ou trop tôt. J'envie, j'ai de la jalousie, pour les architectes du 3ème Reich, ceux de l'Union Soviétique qui maniaient si bien le béton. Ou Perrault à la rigueur. Une ville entière tout de même, ça n'est pas rien. Mais mon héros c'est le Baron, quand il écartelait Paris, lui libérait ses bronches encombrées à grands coups de sabre, crac ! crac ! Je pensais à ça l'autre jour dans mon taxi. J'étais pris dans un ralentissement, un bouchon quoi. A la hauteur de la Porte de Pantin j'ai jeté un coup d’œil à la dérobée. "Effet vol d'hirondelles" ça devait rendre. Le résultat c'est plutôt "chiures de goélands", faut bien admettre. J'ai détourné le regard vers les moulins.
On a inauguré le truc avec une expo "David Bowie", un personnage ambigu comme on dit. C'était parfait. J'attends avec impatience la rétrospective "Conchita Wurst". Ah les cons... Enfin l'honneur est sauf : dans les chiottes ils diffusent du Schubert, "La truite", paraît que ça fait aller. J'vous jure...
Ça coinçait vraiment. Mon taxi, un chinois rigolard, a agité son index vers la chose.
- c'est vous qui avez fait cela ! Hi hi hi !
D'où il me connaissait celui-là ? Est-ce que je lui demande, moi, si sa femme pose à poil pour les fonds de tasses à saké ? C'est incroyable ça !
- non, non, vous devez confondre, ai-je répondu. Tenez : prenez donc par le Pré-St-Gervais, je connais un raccourci.
J'ai honte je vous dis.


Fort Desaix, Martinique (archive)

 


 

 

mardi 27 février 2018
Fort Desaix



Dans un village du Loiret.

Un récent billet de Maxime Tandonnet, une carte postale envoyée de Fort-de-France sur son blog personnel , réveille en moi de vieux souvenirs.
Il y a 37 ans environ, je recevais ma convocation pour les trois jours, convocation accompagnée de toute une documentation ventant les différents corps d'armée. Contrairement à bien de mes camarades de l'époque, je ne voyais aucune objection à accomplir mon devoir. Il faut dire que je n'étais pas comme beaucoup d'entre eux engagé ni dans la drogue, ni dans l'alcool, dans un travail d'esclave, encore moins dans l'amour de ma vie comme l'a si bien moqué Saint-Exupéry dans Terre des Hommes. L'argument selon lequel "j'allais perdre mon temps" me paraissait discutable sinon faux . Aussi le soir, avant de m'endormir, bien décidé à le faire ce service militaire, je parcourais les brochures qui devaient affiner mon choix.
Et c'est ainsi qu'un dimanche, devant le poulet rôti, j'annonçais à mes parents que j'allai faire les paras. Il y eu comme un blanc. Un blanc rompu par un bruit de couverts tombant sur l’assiette de ma mère.
- tu ne vas pas faire ça quand même ?
- et pourquoi pas ?
Je tentais vainement une justification.
Mon père ne se prononçait pas. Il avait tiré de sa boite une allumette et se curait les dents, songeur, les yeux au plafond.  Je le regardais faire. Nous avions renoncé à lui apprendre les bonnes manières. Tout chez lui disait qu'il avait grandi avec les vaches et les cochons, qu'il en était assez fier. Quand bien même aurait-il voulu y changer quelque-chose que ses souliers sentiraient toujours la bouse. Il remis l'allumette dans sa boite, se servi un verre de rouge, rinça le tout et se tut.  Mais ma mère avait tout de suite eu la vision de son fils tombant en torche avec dans son dos un parachute cent fois raccommodé, bon pour la réforme. Elle me voyait dans ces gros avions, ces Transall bourdonnant dont on ne sait jamais quand les moteurs vont s'arrêter, caler, en finir avec une apesanteur illogique, s'écraser. Elle cauchemardait.
Les jours suivant furent sinistres. Il était devenu clair que je la torturais. Dans ma chambre je lisais et relisais les différents dépliants.
Un jour où nous étions de nouveau à table je fis part de ma décision, irrévocable cette fois-ci, à même de tarir les larmes maternelles :
- je ne ferai pas les paras : je pars pour  l'Afrique ou les Antilles avec un contrat EVSOM de deux ans.
- E...
- EVSOM, engagé volontaire pour servir outre-mer. C'est ferme et définitif.
Mon père se racla la gorge :
- il y a des opportunités dans l'armée.
Ce fut tout. Il se leva et débarrassa la table, ce qui était contraire à ses habitudes.
L'affaire était entendue, le compromis acté.  Mais j'ignorais encore que cette décision allait déterminer le reste de ma vie.

Perpignan.

La mémoire est sélective et la mienne a presque effacé ces deux mois dont il est vrai il n'y a pas grand-chose à retenir sinon des humiliations bien inutiles. C'était un peu avant ou après mai 81 et je votais pour la première fois contribuant à l’avènement de Tonton. Cloué au fond d'un lit d'une infirmerie je venais de recevoir le paquet groupé (le package on dirait aujourd'hui) des vaccins indispensables pour partir sous les tropiques et l'encaissais mal : tout mon corps de 58 kl se révoltait, tremblait, alternait entre la fièvre et la glaciation. C'était la dernière étape avant mon départ de Roissy. Que reste-t-il de ces deux mois ? Des marches dans les Pyrénées, le souvenir de cet Alsacien trop gras dans une côte caillouteuse, suant, gémissant qu'il n'en peut plus, une jeep qui le redescend vers la ville ; pour lui c'est fini . Une bergerie à la tombée de la nuit perdue dans la montagne, un camion qui apporte des ballots de paille pour en recouvrir le sol et le lieutenant qui ricane, son sac à dos bien ouvert laissant apparaître les vieux journaux dont il l'avait gonflé pour la marche :
- voila la paille pour les bœufs !
Ce même lieutenant qui nous passe en revue le matin :
- mais c'est quoi ce bataillon de pédés qu'on me demande de former ? Il crache et nous fusille d'un regard méprisant.
C'est vrai que pour beaucoup nous sommes assez ridicules dans nos shorts trop larges, nos vestes trop grandes ; à nos ceinturons il manque des trous. Lui s'est fait tailler une veste cintrée qui lui tombe pile poil au-dessus du cul et un short bien moulant qui met en valeur sa virilité (bourrée elle aussi au papier journal ?), ses jambes musclées et bronzées. Se rend-il seulement compte qu'accoutré de la sorte il devient lui-même objet de fantasmes homosexuels ? Pédé toi-même va !
Adieu Perpignan...

Fort-de-France.

L'avion s'est posé à l'aéroport de Fort-de-France Lamentin à la tombée de la nuit (mais la nuit tombant tout au long de l'année vers 18h peut-on parler encore de nuit ?). En descendant sur le tarmac je fus saisi par une sensation d'étouffement tant l'air était moite, saturé d'humidité. Crapauds et insectes nocturnes nous faisaient un concert de bienvenue, des odeurs nouvelles que j'aurais bien été en peine d'identifier me parvenaient par vagues. J'aurais dû être heureux d'être là mais dans l'avion la rumeur avait enflé que ce n'était pour nous peut-être qu'une étape, que nous allions devoir à nouveau passer devant un officier orienteur qui se chargerait de nous dispatcher qui en Guadeloupe, qui en Guyane, l'avis général étant que les plus chanceux seraient ceux qui resteraient en Martinique. De la Guyane il n'y avait rien de bon à attendre : des expéditions dans la forêt tropicale, dormir dans des hamacs, marcher, encore marcher. Certains, bien informés apparemment, racontaient les cas de ces jeunes qui repartaient pour la métropole bouffés aux moustiques, défigurés, la peau marbrée par des champignons microscopiques quand ils n'étaient pas infectés par la bilharziose ; on les nommait pudiquement "les rapatriés sanitaires". Une incertitude pesante avait fait place à l'enthousiasme du départ.

On s'habitue vite. Plier, déplier la moustiquaire, aller à la douche en chassant du pied les ravets qui squattent la cuvette, attendre...
Dans la chambrée j'avais trouvé ma place près de la porte et de la passerelle qui donnait sur la cour. Mes nouveaux camarades m'avaient plutôt bien accueilli et deux ou trois se révélèrent par la suite plus que des camarades. Mais nous étions arrivés depuis près de 48 h et n'étions toujours pas fixés sur notre sort. Après tout peut-être était-ce là notre destination finale ?

Je suis dans le bureau de l'officier orienteur. Il a le nez plongé dans mon dossier et, sans relever la tête me demande :
- qu'est-ce qu'on vous a dit à Paris ?
- on m'a dit qu'avec mes compétences...
Il ne me laisse pas terminer, lève les bras au ciel façon Général De Gaulle et s'exclame :
- vos compétences ! Vos compétences !....
Il n'ajoute pas qu'il en a rien à foutre de mes compétences, qu'il les voit voisines de zéro, ce serait superflu. Il replonge dans mon dossier que je n'imaginais pas si long. Son stylo tournoie au-dessus des pages, s'arrête sur une ligne, coche une case. Visiblement je lui pose un problème. J'ai des sueurs froides qui me dégoulinent sous les aisselles. Mon compte est bon : demain je pars pour Cayenne.
- vous savez taper à la machine ?
- ...non...
- et bien vous apprendrez !
Encore quelques griffouilages, signature, coups de tampon, et voila comment je suis devenu secrétaire du chef de corps, le lieutenant-colonel L.

Enfin secrétaire du chef de corps c'est beaucoup dire. En y repensant je crois pouvoir dire que l'officier m'avait parfaitement jaugé, qu'il n'était pas orienteur pour rien, qu'il avait créé pour moi un emploi fictif en quelque sorte. Je n'ai jamais appris à taper à la machine : le secrétariat disposait d'une secrétaire civile qui faisait ça très bien. Dans le fond du bureau on avait trouvé une place pour une petite table et une chaise où je venais tous les matins prendre mon service à six heures (après-midi antillaise oblige). Mon travail consistait à ouvrir le courrier, sauf celui qui était estampillé "confidentiel défense". C'est vous dire si j'étais débordé... Au fond si je devais faire une comparaison, je dirais que l'on m'avait mis là un peu comme un prématuré dans une couveuse, à l'abri. On avait pour moi qu'indulgence et bienveillance. On semblait ne pas voir quand mes cheveux dépassaient la taille réglementaire, tout juste me faisait-on la remarque quand mon menton parfois grisonnait.

Le matin vers 9h le commandant J. entrait dans la pièce et me faisait signe de le rejoindre. Dans le couloir il me donnait quelques pièces en me disant : "il y a aussi pour la votre". Alors je quittais les bureaux, empruntais lentement, sans me presser, le chemin qui remonte vers la route du Morne Desaix. Là, à l'ombre d'un bosquet, se tenait tous les jours une vieille martiniquaise en habits madras traditionnels assise sur un pliant avec devant elle une bassine en plastique bleu et sur son côté une glacière. Dans la bassine marinait de la morue et des oignons dans une huile pimentée. Le rituel avait beau être quotidien, je salivais en la voyant couper le pain, mouiller la mie d'un peu d'huile, étaler les oignons puis la morue grossièrement dessalée. De toutes les curiosités qu'il m'a été offert de goûter durant mon séjour, c'est ce simple sandwich que j'ai le plus regretté à mon retour en métropole. Puis elle sortait deux bières de la glacière.
Sur le chemin du retour je marchais d'un pas plus rapide : le commandant n'aimais pas la bière tiède.

Sans vouloir enjoliver le passé ou verser dans un sentimentalisme béat, je crois pouvoir dire que je coulais des jours heureux. Même quand j'eus à tâter de la paille humide des cachots (en fait une petite cellule de béton sans sanitaires avec une minuscule ouverture grillagée pour laisser entrer un peu de la lumière du jour) l'affaire tourna malgré tout à mon avantage.