lundi 25 mars 2024

Brigitte (archive)

 

 


 
mardi 16 novembre 2021
Brigitte

 
Depuis le temps qu'elle m'en réclamait quelques pousses...

- Je t'ai apporté des lilas de "S" !

- Ô merci ! Ce sont des blancs ?

- Oui. Je les ai prélevés à côté de chez Brigitte. Mais ils sentiront bon quand même...

Brigitte est un chiotte à "S" posé sur une structure de bois au-dessus d'un trou, habillé de tuiles romanes et caché derrière un bouquet de lilas. Nous l'utilisons encore beaucoup et, l'été, l'endroit est envahi de  grasses mouches bruyantes, vertes ou bleues.

Il faut dire que le confort à "S" est un peu sommaire, spartiate. Quand il y a quarante ans ma belle me fit découvrir ces lieux splendides, il n'y avait rien. Dans les années 70 mes beaux-parents avaient sauvé de l'écroulement total  cette ancienne magnanerie. Longtemps après que les travaux de sauvegarde furent finis, les cartes d'état-major de la région continuaient d'indiquer "S" avec la mention "ruines" en italiques accolée. De fait, il restait beaucoup à faire.

- Mais ils faisaient comment tes parents quand ils venaient ici ?

- Mon père avait creusé un trou, là, derrière les lilas et avait posé quelques planches dessus.

Le trou s'était bouché et des planches, il ne restait que quelques débris pourris.

- Bon... et on fait comment maintenant ?

Avec un sens de l'a-propos, elle me répondit " tu te dém....".

Et nous partions tous les matins, dans des directions opposées, avec notre rouleau de pq à la main... Au bout de quelques jours, quand nous commencions à sentir un peu fort, nous descendions nous asperger d'eau claire au ruisseau qui est en contrebas de la maison, car d'eau courante nous en étions également dépourvus. Mais en secret (quel secret...) je conservais l'idée de réhabiliter les chiottes de mon beau-père.

Un jour que je revenais de faire mes courses, je m'arrêtais au village et pénétrais dans le café de M. B. M. B. était un jovial colosse, passionné de chasse, qui devait être emporté par le crabe quelques années plus tard. Pour l'heure j'étais son seul client. Je lui commandais un pastis et il mit deux verres sur le comptoir :

- Je vous accompagne si vous le voulez bien.

Et nous entamâmes une conversation de bric et de broc, faite de ces futilités que l'on se dit entre deux presque inconnus. À un moment, à brûle-pourpoint, je lui demandais s'il ne connaissait personne qui aurait un chiotte à vendre.

- Ah on peut dire que vous tombez bien vous ! J'en ai un justement, moi, de chiotte ! Vous voulez le voir ?

Eh comment que je voulais...

Il m'entraina dans la cour derrière son établissement. Là, à côté d'un réduit à outils, il y avait un magnifique trône de porcelaine immaculée. Je me laissais aller à la contemplation de l'objet*. En fait de contemplation, je me demandais surtout comment j'allai bien pouvoir m'y prendre pour briser le siphon sans trop de dégâts, afin de créer une prise directe avec mon trou. Mais M. B. se trompa sur mon attitude qu'il prit pour de l'hésitation :   

- Je vois que vous n'arrivez pas à vous décider. Mais vous savez ce ne sont pas n'importe quels chiottes !

- Ah bon ? Et qu'ont-ils de si particulier ?

- Eh bien avant que je me décide à les remplacer, ils étaient dans mon café. Un jour, Brigitte Bardot est passée dans notre vallée. Elle a pris un verre ici et puis... et puis elle a demandé les toilettes. Voilà ...

- Oh mais dites-moi ça change tout ! Si BB a fait l'honneur de poser son adorable fessier sur ces chiottes je les prends sans plus me poser de question !

Je rapportais mon trésor derrière le comptoir. Sans même me demander mon avis M. B. nous resservit deux pastis. La scène eut paru cocasse à un visiteur : deux hommes accoudés de part et d'autre du comptoir dont l'un avait pour voisin immédiat un magnifique chiotte.

Il ne me demanda pas d'argent, trop content sans doute de l'avoir débarrassé d'un encombrant promit à la déchetterie. Mais, au moment de payer mes consommations, je laissais malgré tout un Debussy sur le comptoir.

Brigitte valait bien ça...

 *Ben quoi ? À Beaubourg on contemple bien des urinoirs !




2 commentaires:

  1. Vous aviez eu plein de commentaires sympas pour ce joli récit.
    Dont 2 de ma part, je crois me souvenir...

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    1. Je sais...
      J'ai même hésité à les publier à la suite de ce billet...

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Lâchez-vous !
Mais en gens bien élevés tout de même...