mercredi 8 mai 2024

À Joinville-le-Pont

 


 

Aujourd'hui fiston, ma belle et moi, nous étions donnés rendez-vous à Joinville-le-Pont, au restaurant "La tagine d'or". Joinville-le-Pont j'ai bien connu dans ma jeunesse, du temps où je fréquentais les studios. Mais depuis il est rare que je traîne dans les parages. Une fois, un dimanche au bord de l'eau, nous avons passé un après midi chez Gégenne, ma belle et moi. Mais ça remonte à quand déjà ?

La Tagine d'or comment vous la décrire ? C'est une sorte de ponton qui s'avance sur la Marne, lui donne des allures de péniche mais qui serait éternellement à quai. Initialement nous devions déjeuner en terrasse, mais la météo, une nouvelle fois, nous a trahi (météo-France est devenue une boussole qui indique le sud : quand elle annonce la pluie soyez sûrs qu'il fera beau, et inversement). L’intérieur de la Tagine d'or est assez terne. J'ai remarqué ça : les gens d'outre Méditerranée la déco c'est pas leur truc. Les tableautins aux murs, les bibelos rigolos, les lumières avantageuses, c'est très occidental et singulièrement très français. Quant au couscous, pas donné, par charité chrétienne je n'en dirai rien.

Fiston, qui avait à faire, nous a quitté la panse pleine après le thé trop sucré. Ma belle et moi sommes partis en direction de Nogent. L'idée était de regagner Vincennes et son château en traversant le bois. Arrivés à Nogent, moi qui pour chaque événement a un refrain en tête prêt à l'emploi, forcément j'ai entonné de mémoire "ah le petit vin blanc qu'on boit sous les tonnelles quand les filles sont belles du côté de Nogent", forcément... Ma belle m'a dit "arrête, déjà qu'on a un temps de m...". De l'autre côté de la Marne (qui n'est qu'une rivière, je te le rappelle), on distinguait la terrasse vide et silencieuse de "Chez Gégenne".  

 

À la hauteur du pavillon Baltard, orphelin de ses frères, arraché au ventre de Paris puis abandonné là seulabre, nous avons bifurqué sur la gauche, avons rejoint l'orée du bois et commencé la longue traversée. J'ai pu constater le parti pris de la municipalité, tout à fait défendable du reste, de laisser faire la nature : les arbres morts, ceux abattus par un coup de vent, pourrissent dans un enchevêtrement anarchique, offrant un refuge à toute une diversité, avant que d'aller, au stade ultime, enrichir les sols.  


 

Au château de Vincennes, que nous parcourûmes en long en large et en travers, ma belle eut deux déceptions : la première fut d'apprendre que Saint Louis n'avait jamais en ces lieux rendu la justice sous un chêne, qu'il s'agissait d'une légende urbaine ; la seconde que Mata Hari ne fut pas exécutée dans l'enceinte du château mais à deux kilomètres de là, dans les bois, sur un pas de tirs en forme de butte où les soldats s'entrainaient... au tir, devenu depuis le Polygone, un circuit pour vélos. La seule personne à avoir été exécutée dans les douves du château fut le duc d’Enghien. En mémoire de Saint-Louis, il y a une dizaine d'années, on a bien planté un chêne dans la cour, mais il ne s'y est pas plu et il a mourru. Depuis deux ans un autre a pris la relève qui semble s'acclimater. Remarquez que ça fait une belle jambe à Saint-louis... En revanche nous eûmes une pensée émue pour le divin marquis qui passa, dans une geôle étroite et sombre du bas du donjon, sept années de sa vie pour d'obscures raisons de moeurs, avant de rejoindre la Bastille.


 

Ma belle et moi nous sommes séparés au RER de Vincennes, elle voulant revoir la rue des Laitières et les petites maisons environnantes où elle passa une partie de son enfance. Comme elle envisageait ensuite de traverser tout Paris à pinces pour rejoindre notre chez-nous, je lui ai dit que ce serait sans moi. 

A part ça météo-France prévoit du soleil pour demain : n'oubliez pas votre parapluie.

lundi 6 mai 2024

L'affaire Guillaume Meurice



Ce qui m'amuse dans l'affaire dite "Guillaume Meurice", c'est de le voir lâché par les siens, victime de cette gauche intolérante (pléonasme).

Sa blague n'était peut-être pas drôle (encore que "nazi sans prépuce" je comprends que cela puisse faire sourire), mais elle ne méritait pas ce lynchage, cette mise au ban ; cette censure. Parcourant les blogs dits" de gauche ", je reste effaré de la joie mauvaise qui les anime devant l'éviction de l'un des leurs. La liberté d'expression, le mauvais goût revendiqué, pour ces pisse-froid c'est... de l'hébreu.

L'un des acolytes de GM, Djamil le Shlag, a hier donné sa démission en direct sur France Inter, ajoutant qu'il y avait plus de liberté sur les plateaux de CNews. Ambiance... 

Nous savions depuis longtemps que l'intolérance était bien portée à gauche, en voilà un exemple supplémentaire. 

vendredi 3 mai 2024

La Butte aux Cailles





Ma belle et moi, quand nous voulons nous dégourdir les jambes, nous partons de notre 14ème vers le 13ème, où nous avons vécu jadis. Vers la rue Bobillot, où nous restent des souvenirs de notre prime jeunesse, de jeunes parents aussi.

J'aime ce quartier de Paris : il ne se prend pas au sérieux, dégage une atmosphère de petite ville de province (tant que l'on ne franchit pas l'avenue d'Italie). Du temps où nous y habitions nous avions nos habitudes : le traiteur italien pour nos pâtes et la coppa, le Lacryma Christi, le Merle Moqueur et le Temps des Cerises, pour un verre de blanc. Sur cette Butte aux Cailles notre cantine était Chez Gladines, un restaurant basque dont la carte était aussi généreuse que savoureuse, sans être onéreuse. Les ruelles de la Butte ont toujours été le terrain de jeu des tagueurs et autres graffeurs, dont la plus célèbre, aujourd'hui décédée MISS. TIC

À la Butte aux Cailles les expositions ne sont que temporaires : d'un week-end sur l'autre on peut découvrir de nouvelles "œuvres". Seules celles de Miss. Tic, morte en 2022, semblent bénéficier d'une forme de respect : personne ne s'avise de les effacer. 








 

mercredi 1 mai 2024

La carte du Parti



L'autre jour dans "L'Heure des Pros", il y eu une énième escarmouche entre Pascal Praud et Olivier Dartigolles autour du parti Communiste et ses millions de morts. L'animateur allait passer à un autre sujet quand le facétieux Olivier lâcha :

- de toute façon nous l'avons tous la carte du Parti... 

Praud s'est mis à bégayer :

- co-co-comment ça nous l'avons tous ?

Et Olivier de porter l'estocade :

- vous avez bien une carte vitale non ?

Praud, qui a de la culture, a levé les bras au ciel, vaincu. 

Eh oui : notre bonne vieille Sécu c'est à un communiste que nous la devons, au sortir de la guerre :

AMBROISE CROIZAT.



Mer calme à agitée

 



Alors que certains Normands connaissent depuis peu les joies de la fibre, à "S" nous l'attendons toujours. Pourtant il nous était promis ce haut débit, cette possibilité de voir en instantané toute la misère du monde ; depuis 2022. J'en avais fait un billet, que je remets ici, car en ce jour de fête du travail (merci mon Maréchal) je ne m'en sens pas de pondre un billet :


mercredi 27 juillet 2022

Mer calme à agitée


Il y a un an environ, une camionnette s'est arrêtée à proximité de "S". Un jeune homme plein de vigueur en est descendu avec un instrument dans la main. Il m'a montré du doigt le poteau de bois qui nous amène ici électricité et téléphonie. Mais lui visiblement en cherchait un autre de poteau, qu'il m'a indiqué sur son appareil électronique auquel je ne comprenais pas grand-chose.

- monsieur, ce poteau n'existe pas, le dernier que vous trouverez dans le secteur, c'est celui-ci, le nôtre, le dernier de la commune. D'ailleurs si vous continuez sur quelques mètres, vous serez sur la commune voisine. Ici c'est le terminus, même le facteur rechigne à y venir.

Il ne voulait pas le croire, sa machine lui indiquait un poteau et il voulait voir ce poteau. Je n'ai pas cherché à le convaincre, mais, à toute fin utile, je lui demandais pourquoi il y tenait tant à ce poteau.

- eh bien monsieur, m'a-t-il répondu, c'est que nous apportons la fibre, que vous l'aurez au plus tard début 2023. Et qu'il nous faut préalablement répertorier le réseau car elle sera aérienne.

Sur ce il est reparti, avec sa petite machine entre les mains, interrogeant du regard les collines, insatisfait de ma réponse.

Bigre... "la fibre" allait arriver jusqu'ici...

Hier je descendais vers la ville par la petite route. Là je croisais une autre camionnette, avec élévateur, et deux ou trois hommes qui s'affairaient à accrocher des câbles au sommet des poteaux. Curieux comme je suis, je me suis arrêté pour leur demander la nature de leur activité. Et c'est tout naturellement qu'ils m'ont répondu "qu'ils apportaient la fibre au hameau de "V".

Le désert numérique perdait du terrain, et dans cette marche vers le progrès, "S" serait la dernière à être servie.

Ça m'a laissé songeur. Je me suis souvenu d'un temps, pas si lointain, où quand je venais à "S" je n'avais pour seules compagnies que des livres, le feu dans la cheminée, un téléphone qui ne sonnait que très rarement, mes rêves et un vieux transistor.

C'est de ce vieux transistor dont je me souviens aujourd'hui. Au fond de cette vallée perdue, il ne captait presque rien. France Inter y était encore audible, mais, par un défaut technique que je ne saurais expliquer, passé le flash de 20h, sa captation des ondes déclinait, le son se perdait dans un grésillement progressif, le transistor ne percevant plus que le "tac tac" de la clôture électrique voisine. C'était l'heure de la météo marine. Elle durait des minutes qui paraissaient des heures. C'était aussi un moment de grande poésie, propice à l'évasion :

Mer d'Iroise, vent modéré de secteur sud, mer calme, pas d'avis de coup de vent en cours ni prévu.

Cantábrico, mer calme à agitée, vent de secteur sud-ouest se renforçant dans la nuit.

Et je somnolais au coin du feu. J'étais ce marin embarqué sur son chalutier qui regardait s'éloigner la côte.

Le son dans le transistor devenait insupportable. Le "tac-tac" surnageait dans un océan de grésillements, la voix du présentateur devenait inaudible. Je me levais et coupais l'appareil. Ne restait plus alors qu'un immense silence.

La fibre arrive, et les rêves s'en vont.



samedi 27 avril 2024

Dans le TGV...




... on nous sert de l'eau "neuve". Manquerait plus que ça qu'elle soit pourrie... 

Ceci dit je suis pas sûr que c'est cela qui me fera préférer le train, comme dit un vieux slogan publicitaire. D'autant que le mien, suite à différents "incidents techniques", a quatre plombes de retard. Même pas sûr que je puisse choper le dernier métro en arrivant à Paname... Quand même, au prix de la balade ça fout un peu les boules... 

vendredi 26 avril 2024

Mon amoureuse


Pour des raisons qui la regardent, elle se faisait discrète, étrangement absente. Mais depuis quelques jours la revoilà, pimpante, avec la même énergie que je lui connais année après année. Ce soir elle a particulièrement apprécié mon curry de cochon, m'a donné l'impression de faire une grande découverte. Le piment dont j'abuse dans ce genre de recette l'a mise en grande joie, au point de renoncer à son droit à l'image. C'est ma Lilye, mon amoureuse. Je serais bien incapable de dire son espèce, sa race ; elle aime mes fonds de plats, mes jeux et mes caresses. Tout à l'heure je lui ai dit qu'il était temps de remonter sur sa colline, que là-haut il y avait quelqu'un à qui elle avait des comptes à rendre, que nous nous reverrions demain. Mais elle s'est allongée sur le sol trempé de ma terrasse, m'a lancé un regard implorant. Dans ces moments-là c'est difficile de faire preuve de fermeté : l'envie est grande de passer la nuit avec elle. 

C'est ma Lilye, qui danse comme un cabri à chacune de nos retrouvailles :



lundi 22 avril 2024

Février en avril

 


Moi, vous me connaissez, je n'ai pas peur des mots, j'aime bien qu'on me les dise. Je suis par nature un homme ouvert à tout, disposé à tout entendre pourvu qu'on m'explique. Ainsi du réchauffement climatique qui serait responsable des températures polaires que je subis à "S", de ce mois de février en avril qui serait la preuve irréfutable que nous allons tous cramer demain, je dis d'accord. Dans ma grande tolérance, je veux bien accepter tous les sophismes, toutes les démonstrations savantes ; je suis même prêt à considérer notre bonne vieille terre à l'aune de graphiques abscons. 

En revanche, si d'aventure on en venait à trop insister, il ne faudra pas s'étonner d'une généreuse distribution de pâtés de phalanges, et que certains en viennent à moucher rouge...

dimanche 21 avril 2024

"S", encore et toujours



À "S" depuis bientôt deux semaines, où le printemps se fait attendre. Encore que ce ne serait pas si désagréable, s'il n'y avait ce fucking mistral. Je sais bien que ce fichu vent fait partie de l'identité de la région, mais parfois j'aimerais qu'elle la mette un peu en veilleuse, son identité...

La rivière coule en abondance, et j'ai dans l'idée que nous ne devrions pas manquer d'eau cet été. Mais j'ai aussi dans l'idée d'avoir pensé et écrit exactement la même chose il y a de cela un an. Avec une suite très décevante...

L'autre jour ma belle et fiston étaient encore là. Avec fiston nous venions de terminer une partie d'échecs et nous étions rapprochés du feu. Fiston roulait une cigarette. À côté de nous restait l'échiquier, où mon roi défait, lamentablement coincé, témoignait de ma déconfiture, expédiée en quelques minutes. Fiston, tout en léchant  la gomme de son Riz-La-Croix, me dit :

- tu sais le cerveau c'est un muscle, si tu t'entraines, un jour peut-être, tu me battras.

Il adore me chambrer... 

Puis il ajoute:

- d'ailleurs les échecs sont un sport... 

- ah oui ? 

- oui. Et comme pour tous les sports il y a des compétitions "masculines" et "féminines", car nos cerveaux sont faits différemment. La première femme classée, une Chinoise je crois, se trouve très loin derrière les hommes.

Moi qui, sans être un phallocrate, n'est pas non plus un adepte forcené de l'égalité homme-femme, m'en suis trouvé choqué.

- comment !?!? Mais les échecs c'est avant tout une activité cérébrale non ? On devrait pouvoir organiser des compétitions mixtes !

- on devrait... D'ailleurs ça existe... Pour la rigolade...

- autant je suis absolument contre qu'un homme transgenre participe à des compétitions féminines, autant je n'ai aucun problème avec des tournois d'échecs mixtes. Si je devais y participer, la seule chose qui pourrait me troubler serait un décolleté trop plongeant... là je risquerais d'être mat plus rapidement encore que ce soir...

Ma belle, qui écoutait notre conversation, me dit :

- tiens ben pour la rigolade, tu en fais une contre moi ? Tu noteras que je n'ai pas de décolleté...

Vous savez quoi ? 

J'ai perdu... 



dimanche 14 avril 2024

"Climats", ou la France d'avant la catastrophe



Avec "F", qui est la bonté faite homme, nous avons fait les derniers kilomètres qui nous séparaient de "S".

En dépit des aléas climatiques, "S" se porte comme un charme. Je crois qu'elle en a vu d'autres. 

Nous sommes entrés dans la maison. "S" sentait les feux de cheminée éteints, les vieux plats refroidis ; son humidité accumulée durant tout l'hiver nous tomba sur les épaules. Tandis que j'ouvrais les volets, "F", qui arpentait les pièces, s'est arrêté devant ma bibliothèque.

- c'est curieux ça... 

- quoi ? 

- on dirait la bibliothèque de "P". En tout cas ça lui ressemble beaucoup. 

- et pour cause : c'est la sienne. Je ne sais plus pourquoi mais il l'a amenée ici, un an avant de mourir. 

"F" regardait les dos. 

- tiens si tu t'ennuies tu peux lire ça, c'est joli. Je te le retourne pour que tu le retrouve facilement. 

Le livre qu'il m'avait retourné, que je lis en ce moment, a pour titre "Climats", D'ANDRÉ MAUROIS

Au travers d'intrigues amoureuses, le roman court de la belle époque aux années folles. Avec sa parenthèse assassine. Avec "Climats", André Maurois s'adjuge, paraît-il, un lectorat féminin. Il faut dire que même remarquablement écrit, ça reste un peu cul-cul la praline, dans le genre d'un Marcel Proust, évoqué quelque part comme étant un "chroniqueur mondain". 

Malgré tout voici un livre qui donne à voir ce qu'a pu être notre civilisation, sans crime "d'honneur", sans couteau, où l'altérité n'était pas un obstacle, un sacrilège, un péché à cacher, mais, pour les audacieux comme les timides, une frontière fragile et délicieuse, à franchir avec un bouquet de fleurs et quelques bons mots, une frontière à ne surtout pas défendre au risque de tout perdre : on abdique à genoux devant une femme. La masculanité toxique est remise à plus tard. Ou à jamais. 

Une époque où la femme, quoi qu'on en dise aujourd'hui, avait la place de choix : la première.

L'amour, pas la guerre. 







PS : Je ne suis pas sûr que la fin de ce billet soit très claire. Pas grave... On fera mieux la prochaine fois. 


mercredi 10 avril 2024

mercredi 3 avril 2024

De la rigueur en macronie

 

 

 

"Je n'ai sûrement pas été claire": Prisca Thevenot corrige ses propos sur la tentative d'attentat déjouée, qui n'a pas eu lieu pendant le week-end de Pâques.

Ça doit être ça...

samedi 30 mars 2024

Elle et moi




Ce n'est pourtant pas moi qui lui change sa litière, lui remplis sa gamelle, la brosse tous les matins. 

Et pourtant... 

Et pourtant c'est dans le creux de mes jambes qu'elle vient se blottir et ronronner le soir, au grand dam de ma belle.

Plus que sa tambouille, elle aime mes caresses. 

jeudi 28 mars 2024

L'argent des pauvres





Ah la bonne idée que voilà ! L'idée de génie ! Il n'y a plus de thunes dans les caisses ? Allons piquer l'argent des chômeurs ! Même ceux de plus de 55 ans que les entreprises s'arrachent comme chacun sait ! Celui des malades de longue durée !

Remarquez que l'idée n'est pas nouvelle. Depuis Alphonse Allais nous savons qu'il faut toujours aller chercher l'argent là où il se trouve : chez les pauvres.

Il faut redonner aux gens le goût du travail, prendre exemple sur l'Allemagne. L'Allemagne ? Excellent exemple ! L'Allemagne est ce pays qui n'a pas délocalisé ses entreprises (elle commence seulement à le faire en raison du coût de l'énergie). L'Allemagne est ce pays qui n'a pas désindustrialisé, qui a donc encore des jobs à proposer et même mieux que des jobs. En comparaison notre économie fait pâle figure... tout le monde ne pourra pas faire la plonge dans les arrière-salles des restaurants. Sans compter que ces boulots, comme ceux du bâtiment, bien ingrats, sont déjà préemptés. 

Pouvait-on imaginer d'autres pistes, comme réduire le coût de l'immigration ? Faire en sorte que la France ne soit plus l'hôpital du monde ? Que n'importe qui débarquant à Roissy ait les mêmes droits qu'un Français ? Vous n'y pensez pas ! Nous avons des valeurs !

Non, décidément il est beaucoup plus simple d'appauvrir toujours plus les Français qui n'en peuvent mais.

Jusqu'où ? 

mardi 26 mars 2024

De l'Hôtel de Soubise à anatomie d'une chute



Ce dimanche dernier, ma belle et moi, parcourions les rues du très gay-friendly quartier du Marais. Nous sommes entrés aux Archives, aussi appelé hôtel de Soubise. Il y avait là une exposition sur les sacrilèges. À ne pas confondre avec les blasphèmes (Le sacrilège (profanation d'objets sacrés) et le blasphème (insultes adressées à Dieu et à ses saints)
Pour cette exposition toutefois, la notion de sacrilège s'avère un peu plus vaste, plus floue, puisqu'elle s'étend du religieux jusqu'à notre bonne vieille Marseillaise. On y voit par exemple des images d'un Jacques Chirac offusqué, quittant le Stade de France quand cette dernière fut copieusement sifflée, à l'occasion d'un match de football dont on a oublié le score et les équipes en compétition. Mais aussi ce dessin, très drôle je trouve, où l'on se moque de la reconstitution d'une relique (lire la phrase au bas de la photo).



L'exposition étant somme toute assez succincte, nous en avons très vite fait le tour. Alors, pour conclure ce long dimanche de grisailles, nous sommes allés au cinéma, voir ce film oscarisé, césarisé, dont on dit le plus grand bien : "Anatomie d'une chute". Et alors là je dois dire que je ne comprends plus rien. Certes le film est bien ficelé, les dialogues ciselés, de l'ensemble se dégage un réalisme très réussi. Tout cela je le concède volontiers. Malgré tout je n'ai pu m'empêcher de ressentir une forme d'ennui dans ce quasi huis-clos (tribunal). Pour le moins j'attendais un épilogue spectaculaire... qui n'arriva pas. Je ne vais pas dévoiler la fin (bien que la réalisatrice l'ait déjà fait dans une interview), mais je dois dire qu'elle nous a laissé, ma belle et moi, très perplexes, dubitatifs.
L'impression définitive étant que nous avions vu là un téléfilm de bonne facture, soigné, un truc pour Arte, ou France 3 Regions, mais qui ne méritait pas tant de louanges.



Le casse de l'oncle Tom




Je revois tante Mathilde sur le seuil de ciment, avec un grand sourire de joie, essuyant ses mains ménagères à son tablier de coutil. Y avait mon papa dans ce temps-là ; pas tellement joyce de se pointer chez Dugadin, mais faisant bonne figure pour ne pas contrister maman. Le vieux Tom ne se trouvait jamais là. À croire qu'il n'habitait pas sa ferme. Il surgissait d'ailleurs, toujours : de l'écurie, du hangar, du potager, d'un sentier qu'on avait pas remarqué entre les hautes touffes d'ortie.

Je vais retrouver cette odeur de cellier et de vieux bois, de javel aussi, car tante Mathilde, avant de balayer, arrosait toujours le sol avec avec un gros entonnoir à anse contenant une lotion javellisée. Elle décrivait des 8 à n'en plus finir, qui se superposaient et se substituaient longtemps sur le rude plancher. Ah ! Mes ombres ! Personnages de ma petite enfance dont je traîne le deuil sur les rivages de la vie, pareil à une vieille veuve bretonne qui s'obstine à regarder la mer

Frédéric Dard, "Le casse de l'oncle Tom", 1987.


L'autre jour il faisait beau. Alors je suis parti prendre un rayon de soleil sur un banc du square voisin, avec un livre sous le bras. Une activité de presque vieux que je deviens. Le livre c'était un vieux San-A déniché dans ma bibliothèque: le casse de l'oncle Tom daté de 1987. San-Antonio faisait mes délices de jeune homme, quand je prenais le train Corail pour une destination ou une autre. À 40 années de distance, je l'ai retrouvé avec plaisir, le trouble dans l'entrejambe en moins. Mais là n'est pas la question. Relire l'un de ces vieux romans de gare c'est mesurer à quel point nous avons changé d'époque. Plus rien des lignes que je parcourais ne pourrait s'écrire aujourd'hui. Trop de sexisme bon enfant, trop de plaisanteries à connotation raciales, plus personne je crois ne publierait Frédéric Dard de nos jours. Aussi je tiens ces petits romans dérisoires comme autant de biens précieux. Et pourtant, en cette année 1987, il en fait des efforts Frédéric Dard! Il intègre à son équipe, au grand désarroi de Béru, monsieur Blanc, sénégalais, balayeur de son état, dont la mission jusqu'alors était de conserver propres les trottoirs autour de Saint-Sulpice, et qui va s'avérer un excellent flic.

Je crains malgré tout que cela soit bien insuffisant pour le faire entrer en odeur de sainteté auprès d'une Sandrine Rousseau.

Quoi qu'il en soit, si vous traînez sur les vide-greniers, surveillez bien les bacs à livres et achetez tous les San-Antonio que vous pourrez y trouver : je suis certain que vous ferez un bon placement.

PS : ceci n'est pas une archive. 

lundi 25 mars 2024

La soupe au chocolat (archive)

 


 

 

 samedi 11 mars 2023
La soupe au chocolat

Elle arrivait le plus souvent, et le plus logiquement, vers la fin du mois. Pour ma mère c'était un crève-cœur, pour nous c'était jour de fête, ça nous changeait de la soupe au potiron. Pour elle cela voulait dire que le frigo faisait du froid sur du vide, quand on ne l'avait pas  déjà éteint. Nous étions trop jeunes pour comprendre la signification de la soupe au chocolat. Peut-être mon frère aîné la comprenait-il, lui qui était le seul à ne pas s'en réjouir, à ne pas partager notre joie.

La recette était simple : ma mère versait dans une casserole un reste de lait qu'elle allongeait d'eau. Puis elle récupérait dans la panière tous les vieux croûtons délaissés, si durs qu'elle avait parfois du mal à les briser, les jetait dans la casserole. Elle saupoudrait le tout d'un peu de cacao, et c'était le festin.

Mes parents appartenaient à cette génération pour laquelle terminer dans le rouge, devoir des sous à la banque, aurait été l'humiliation suprême. À la banque ils leur devaient l'emprunt pour la maison. C'était beaucoup mais c'était tout. Pour le reste il fallait faire avec ce que l'on avait.

L'autre jour ma belle et moi avons fait un déjeuner de roi :

Crevettes sauvages d'Alaska, avocats d'Israël et son filet d'huile d'olives, première pression à froid, de Tunisie, salade rougette, œufs pochés au vinaigre balsamique, picodons d'Ardèche, ananas Victoria de la Réunion.

Ça méritait bien un rot de conclusion, que je me suis permis discrètement...

Le soir venu je me suis dit qu'après un tel repas je pouvais faire l'impasse sur le dîner.

Je regardais Darius qui, comme il le fait invariablement depuis un an, nous expliquait encore et encore combien la guerre de Poutine est un contresens historique, combien son armée est naze, archi naze. Ne venait-elle pas encore de perdre pas moins de 130 chars, dans la répétition d'une erreur déjà commise aux premiers jours de la guerre ? Une telle désinvolture avait de quoi surprendre, laisser pantois...

C'est à ce moment là que mon estomac s'est de nouveau manifesté : j'avais faim, une faim dévorante.

Le frigo faisait du froid sur du vide. Un frigo Potemkine en quelque sorte. Ne restait plus que quelques feuilles de salade, une tablette de beurre entamée. Sur la table, un quignon de pain, une banane oubliée qui n'en finissait pas de noircir. J'ai ouvert le quignon de pain, étalé un peu de beurre, écrasé la banane, trouvé un peu de sucre de canne et saupoudrer le tout...

C'était bon comme une soupe au chocolat.


La véritable histoire des œufs de Pâques (archive)

 


 

 

 dimanche 9 avril 2023
La véritable histoire des œufs de Pâques

 


   À l'heure où nos fêtes chrétiennes font le bonheur des chocolatiers, des pâtissiers et autres commerçants, à défaut de remplir les églises, je voudrais dire ici ce qu'était pour nous la tradition des œufs de Pâques.

Dans ma tendre enfance j'ai été enfant de chœur. Quand venait le moment de Pâques, notre curé (qui était en fait un abbé) nous chargeait d'une mission : aller bénir les maisons de la commune. Notre commune, ou paroisse, avait un rayon de près de deux kilomètre et une journée entière n'était pas de trop pour mener à bien cette mission. Nous partions à bicyclette, avec dans nos sacoches des sandwichs variés, et quelques paquets de chips, le bénitier accroché au guidon. Nous frappions aux portes des maisons, des fermes, et nous proposions la bénédiction. Durant la courte cérémonie nous entonnions ce chant (sauf Dédé qui chantait faux) :

Chétiens chantons, chantons, joyeux,

C'est notre Christ le Roi des cieux,

Qui ressuscite glorieux,

Alléluia, alléluia, alléluia !

Le bénitier, de faible contenance, se vidait rapidement au gré des soubresauts du vélo. Alors nous le complétions dans un ruisseau ou à une fontaine publique. Pour une maison garantie bénie à l'eau de rivière, les paroissiens nous laissaient quelques pièces, qui allaient en rejoindre d'autres dans une sacoche dédiée. Parfois, il faut bien le dire, des portes restaient obstinément closes, soit par radinisme maladif, soit par athéisme borné.

Mais il nous arrivait aussi d'atteindre des fermes éloignées, isolées ; pauvres. Je me souviens de l'une d'elles, leurs propriétaires travaillaient encore leurs terres avec des percherons. Pour eux il y avait encore un maréchal-ferrant au village. En remerciements ils nous offraient une douzaine d'œufs frais du matin. En cela ils respectaient à la lettre la tradition qui veut, en ce moment de joie, que l'on améliore l'ordinaire du curé en lui offrant de quoi faire un festin : œufs donc, mais aussi quartiers de viande, poules, légumes du jardin.

Nous repartions avec les œufs. Mais les ramener intacts au presbytère était un défi irréalisable. Alors, au premier tournant, nous nous arrêtions au pied d'un talus. A l'aide d'un morceau de bois nous percions les œufs à leurs extrémités (un peu comme tu casses ton ampoule de vitamines D si tu vois), et nous les gobions. Fallait avoir le cœur (et le foie) bien accroché. Nous l'avions.

Nous revenions avec une maigre recette... Beaucoup de ferraille, de rares billets.

Elle était d'autant plus maigre cette recette, qu'elle n'était pas destinée à aller dans les poches de la soutane de notre curé, mais à nous offrir un voyage : le voyage annuel des enfants de chœur. Nous n'étions que des enfants et les considérations financières nous passaient très haut au-dessus de nos têtes. En y repensant, je soupçonne que notre curé avait un carnet d'adresses de généreux et discrets donateurs pour faire la soudure ... Combien d'enfants ont vu la mer pour la première fois grâce à ces voyages ? C'était la version chrétienne du secours populaire...

Le voyage avait lieu au début du mois de juin. Je me souviens de l'un d'entre eux, au cours duquel nous allions découvrir la dune du Pilât. Dans le car ça sentait le jambon-beurre et la banane, le chewing-gum à la menthe. Nous étions turbulents, excités, comme on l'est dans ces âges. Notre curé faisait le voyage à l'avant, à côté du chauffeur. Parfois il se levait vers nous, réclamant un peu de calme. Son regard se posait sur chacun d'entre nous. Peut-être cherchait-il à deviner qui d'entre nous serait un jour son successeur...

De successeur il n'en a pas eu. L'église est fermée aujourd'hui, n'ouvre plus que pour les enterrements.

Voila en tout cas, ce qu'était pour nous la tradition des "œufs de Pâques".


La philarmonie de Paris-Pantin (archive)

 

 


 
mardi 27 février 2018
La philharmonie de Paris-Pantin



Mardi 26 mai 2015
La honte

                                             
                                                  La philharmonie de Paris-Pantin


J'ai honte. Oh oui j'ai honte. Mais mettez vous à ma place : il faut bien vivre et c'était une belle commande. On m'a dit :
- Il conviendrait que ça ne ressemble à rien, n'évoque rien, ne parle de rien mais à tout le monde. Vous voyez le topo ?
De ce point de vue là y'a pas à dire c'est réussi.
- l'idéal serait un bâtiment qui aurait tout autant sa place à Shanghai ou Abou Dabi. Voyez-vous Paris est une ville-monde. Ayez ça constamment présent à l'esprit en concevant votre projet.
Une ville-monde...mais où vont-ils chercher tout ça ?
On dit que l'on ne comprend certains auteurs qu'un siècle après leur mort. Je veux bien. Mais moi je ne me comprends pas moi-même. Je me sens comme cet accusé en garde à vue incapable d'expliquer son geste.
Non moi j'étais fait pour autre chose. Je viens trop tard ou trop tôt. J'envie, j'ai de la jalousie, pour les architectes du 3ème Reich, ceux de l'Union Soviétique qui maniaient si bien le béton. Ou Perrault à la rigueur. Une ville entière tout de même, ça n'est pas rien. Mais mon héros c'est le Baron, quand il écartelait Paris, lui libérait ses bronches encombrées à grands coups de sabre, crac ! crac ! Je pensais à ça l'autre jour dans mon taxi. J'étais pris dans un ralentissement, un bouchon quoi. A la hauteur de la Porte de Pantin j'ai jeté un coup d’œil à la dérobée. "Effet vol d'hirondelles" ça devait rendre. Le résultat c'est plutôt "chiures de goélands", faut bien admettre. J'ai détourné le regard vers les moulins.
On a inauguré le truc avec une expo "David Bowie", un personnage ambigu comme on dit. C'était parfait. J'attends avec impatience la rétrospective "Conchita Wurst". Ah les cons... Enfin l'honneur est sauf : dans les chiottes ils diffusent du Schubert, "La truite", paraît que ça fait aller. J'vous jure...
Ça coinçait vraiment. Mon taxi, un chinois rigolard, a agité son index vers la chose.
- c'est vous qui avez fait cela ! Hi hi hi !
D'où il me connaissait celui-là ? Est-ce que je lui demande, moi, si sa femme pose à poil pour les fonds de tasses à saké ? C'est incroyable ça !
- non, non, vous devez confondre, ai-je répondu. Tenez : prenez donc par le Pré-St-Gervais, je connais un raccourci.
J'ai honte je vous dis.


Fort Desaix, Martinique (archive)

 


 

 

mardi 27 février 2018
Fort Desaix



Dans un village du Loiret.

Un récent billet de Maxime Tandonnet, une carte postale envoyée de Fort-de-France sur son blog personnel , réveille en moi de vieux souvenirs.
Il y a 37 ans environ, je recevais ma convocation pour les trois jours, convocation accompagnée de toute une documentation ventant les différents corps d'armée. Contrairement à bien de mes camarades de l'époque, je ne voyais aucune objection à accomplir mon devoir. Il faut dire que je n'étais pas comme beaucoup d'entre eux engagé ni dans la drogue, ni dans l'alcool, dans un travail d'esclave, encore moins dans l'amour de ma vie comme l'a si bien moqué Saint-Exupéry dans Terre des Hommes. L'argument selon lequel "j'allais perdre mon temps" me paraissait discutable sinon faux . Aussi le soir, avant de m'endormir, bien décidé à le faire ce service militaire, je parcourais les brochures qui devaient affiner mon choix.
Et c'est ainsi qu'un dimanche, devant le poulet rôti, j'annonçais à mes parents que j'allai faire les paras. Il y eu comme un blanc. Un blanc rompu par un bruit de couverts tombant sur l’assiette de ma mère.
- tu ne vas pas faire ça quand même ?
- et pourquoi pas ?
Je tentais vainement une justification.
Mon père ne se prononçait pas. Il avait tiré de sa boite une allumette et se curait les dents, songeur, les yeux au plafond.  Je le regardais faire. Nous avions renoncé à lui apprendre les bonnes manières. Tout chez lui disait qu'il avait grandi avec les vaches et les cochons, qu'il en était assez fier. Quand bien même aurait-il voulu y changer quelque-chose que ses souliers sentiraient toujours la bouse. Il remis l'allumette dans sa boite, se servi un verre de rouge, rinça le tout et se tut.  Mais ma mère avait tout de suite eu la vision de son fils tombant en torche avec dans son dos un parachute cent fois raccommodé, bon pour la réforme. Elle me voyait dans ces gros avions, ces Transall bourdonnant dont on ne sait jamais quand les moteurs vont s'arrêter, caler, en finir avec une apesanteur illogique, s'écraser. Elle cauchemardait.
Les jours suivant furent sinistres. Il était devenu clair que je la torturais. Dans ma chambre je lisais et relisais les différents dépliants.
Un jour où nous étions de nouveau à table je fis part de ma décision, irrévocable cette fois-ci, à même de tarir les larmes maternelles :
- je ne ferai pas les paras : je pars pour  l'Afrique ou les Antilles avec un contrat EVSOM de deux ans.
- E...
- EVSOM, engagé volontaire pour servir outre-mer. C'est ferme et définitif.
Mon père se racla la gorge :
- il y a des opportunités dans l'armée.
Ce fut tout. Il se leva et débarrassa la table, ce qui était contraire à ses habitudes.
L'affaire était entendue, le compromis acté.  Mais j'ignorais encore que cette décision allait déterminer le reste de ma vie.

Perpignan.

La mémoire est sélective et la mienne a presque effacé ces deux mois dont il est vrai il n'y a pas grand-chose à retenir sinon des humiliations bien inutiles. C'était un peu avant ou après mai 81 et je votais pour la première fois contribuant à l’avènement de Tonton. Cloué au fond d'un lit d'une infirmerie je venais de recevoir le paquet groupé (le package on dirait aujourd'hui) des vaccins indispensables pour partir sous les tropiques et l'encaissais mal : tout mon corps de 58 kl se révoltait, tremblait, alternait entre la fièvre et la glaciation. C'était la dernière étape avant mon départ de Roissy. Que reste-t-il de ces deux mois ? Des marches dans les Pyrénées, le souvenir de cet Alsacien trop gras dans une côte caillouteuse, suant, gémissant qu'il n'en peut plus, une jeep qui le redescend vers la ville ; pour lui c'est fini . Une bergerie à la tombée de la nuit perdue dans la montagne, un camion qui apporte des ballots de paille pour en recouvrir le sol et le lieutenant qui ricane, son sac à dos bien ouvert laissant apparaître les vieux journaux dont il l'avait gonflé pour la marche :
- voila la paille pour les bœufs !
Ce même lieutenant qui nous passe en revue le matin :
- mais c'est quoi ce bataillon de pédés qu'on me demande de former ? Il crache et nous fusille d'un regard méprisant.
C'est vrai que pour beaucoup nous sommes assez ridicules dans nos shorts trop larges, nos vestes trop grandes ; à nos ceinturons il manque des trous. Lui s'est fait tailler une veste cintrée qui lui tombe pile poil au-dessus du cul et un short bien moulant qui met en valeur sa virilité (bourrée elle aussi au papier journal ?), ses jambes musclées et bronzées. Se rend-il seulement compte qu'accoutré de la sorte il devient lui-même objet de fantasmes homosexuels ? Pédé toi-même va !
Adieu Perpignan...

Fort-de-France.

L'avion s'est posé à l'aéroport de Fort-de-France Lamentin à la tombée de la nuit (mais la nuit tombant tout au long de l'année vers 18h peut-on parler encore de nuit ?). En descendant sur le tarmac je fus saisi par une sensation d'étouffement tant l'air était moite, saturé d'humidité. Crapauds et insectes nocturnes nous faisaient un concert de bienvenue, des odeurs nouvelles que j'aurais bien été en peine d'identifier me parvenaient par vagues. J'aurais dû être heureux d'être là mais dans l'avion la rumeur avait enflé que ce n'était pour nous peut-être qu'une étape, que nous allions devoir à nouveau passer devant un officier orienteur qui se chargerait de nous dispatcher qui en Guadeloupe, qui en Guyane, l'avis général étant que les plus chanceux seraient ceux qui resteraient en Martinique. De la Guyane il n'y avait rien de bon à attendre : des expéditions dans la forêt tropicale, dormir dans des hamacs, marcher, encore marcher. Certains, bien informés apparemment, racontaient les cas de ces jeunes qui repartaient pour la métropole bouffés aux moustiques, défigurés, la peau marbrée par des champignons microscopiques quand ils n'étaient pas infectés par la bilharziose ; on les nommait pudiquement "les rapatriés sanitaires". Une incertitude pesante avait fait place à l'enthousiasme du départ.

On s'habitue vite. Plier, déplier la moustiquaire, aller à la douche en chassant du pied les ravets qui squattent la cuvette, attendre...
Dans la chambrée j'avais trouvé ma place près de la porte et de la passerelle qui donnait sur la cour. Mes nouveaux camarades m'avaient plutôt bien accueilli et deux ou trois se révélèrent par la suite plus que des camarades. Mais nous étions arrivés depuis près de 48 h et n'étions toujours pas fixés sur notre sort. Après tout peut-être était-ce là notre destination finale ?

Je suis dans le bureau de l'officier orienteur. Il a le nez plongé dans mon dossier et, sans relever la tête me demande :
- qu'est-ce qu'on vous a dit à Paris ?
- on m'a dit qu'avec mes compétences...
Il ne me laisse pas terminer, lève les bras au ciel façon Général De Gaulle et s'exclame :
- vos compétences ! Vos compétences !....
Il n'ajoute pas qu'il en a rien à foutre de mes compétences, qu'il les voit voisines de zéro, ce serait superflu. Il replonge dans mon dossier que je n'imaginais pas si long. Son stylo tournoie au-dessus des pages, s'arrête sur une ligne, coche une case. Visiblement je lui pose un problème. J'ai des sueurs froides qui me dégoulinent sous les aisselles. Mon compte est bon : demain je pars pour Cayenne.
- vous savez taper à la machine ?
- ...non...
- et bien vous apprendrez !
Encore quelques griffouilages, signature, coups de tampon, et voila comment je suis devenu secrétaire du chef de corps, le lieutenant-colonel L.

Enfin secrétaire du chef de corps c'est beaucoup dire. En y repensant je crois pouvoir dire que l'officier m'avait parfaitement jaugé, qu'il n'était pas orienteur pour rien, qu'il avait créé pour moi un emploi fictif en quelque sorte. Je n'ai jamais appris à taper à la machine : le secrétariat disposait d'une secrétaire civile qui faisait ça très bien. Dans le fond du bureau on avait trouvé une place pour une petite table et une chaise où je venais tous les matins prendre mon service à six heures (après-midi antillaise oblige). Mon travail consistait à ouvrir le courrier, sauf celui qui était estampillé "confidentiel défense". C'est vous dire si j'étais débordé... Au fond si je devais faire une comparaison, je dirais que l'on m'avait mis là un peu comme un prématuré dans une couveuse, à l'abri. On avait pour moi qu'indulgence et bienveillance. On semblait ne pas voir quand mes cheveux dépassaient la taille réglementaire, tout juste me faisait-on la remarque quand mon menton parfois grisonnait.

Le matin vers 9h le commandant J. entrait dans la pièce et me faisait signe de le rejoindre. Dans le couloir il me donnait quelques pièces en me disant : "il y a aussi pour la votre". Alors je quittais les bureaux, empruntais lentement, sans me presser, le chemin qui remonte vers la route du Morne Desaix. Là, à l'ombre d'un bosquet, se tenait tous les jours une vieille martiniquaise en habits madras traditionnels assise sur un pliant avec devant elle une bassine en plastique bleu et sur son côté une glacière. Dans la bassine marinait de la morue et des oignons dans une huile pimentée. Le rituel avait beau être quotidien, je salivais en la voyant couper le pain, mouiller la mie d'un peu d'huile, étaler les oignons puis la morue grossièrement dessalée. De toutes les curiosités qu'il m'a été offert de goûter durant mon séjour, c'est ce simple sandwich que j'ai le plus regretté à mon retour en métropole. Puis elle sortait deux bières de la glacière.
Sur le chemin du retour je marchais d'un pas plus rapide : le commandant n'aimais pas la bière tiède.

Sans vouloir enjoliver le passé ou verser dans un sentimentalisme béat, je crois pouvoir dire que je coulais des jours heureux. Même quand j'eus à tâter de la paille humide des cachots (en fait une petite cellule de béton sans sanitaires avec une minuscule ouverture grillagée pour laisser entrer un peu de la lumière du jour) l'affaire tourna malgré tout à mon avantage.




Tonton et moi (archive)

 


 

 

 dimanche 9 mai 2021
Tonton et moi

 

 

Hier soir LCP diffusait un documentaire retraçant la carrière de François Mitterrand, cet homme de droite qui se fit élire à gauche. Certains des intervenants étant morts depuis belle lurette, je pense que ce roman télévisuel datait un peu. Mais il m'a replongé dans ma vie personnelle. C'est que, voyez-vous, je lui dois rien de moins que ma carrière professionnelle.

Notre histoire à tous les deux commence en 1981, année où je vais pour la première fois exercer mon droit de vote. J'ai alors 20 ans et je vais glisser dans l'urne un bulletin pour lui, juste avant d'atterrir dans une infirmerie militaire de Perpignan, cloué au lit, car je viens de recevoir toute une batterie de vaccins avant de m'envoler pour deux ans vers la Martinique et le 33è RIMA de Fort Desaix, et je suis raplapla, j'ai la fièvre. Dans une forme d'ingratitude, c'est la seule fois que je voterais à gauche. Il faut dire que ma culture politique était alors en friche, en jachère, attendait d'être ensemencée. Et pourtant, c'est bien à lui que je dois d'avoir gravis un jour les marches des Studios des Buttes-Chaumont, à lui et son vaste programme d'embauche des jeunes au début de son premier septennat.

Je me souviens encore de ce jour de juin et des mots de celui qui allait me faire signer mon premier contrat de travail. C'était un homme fort, à lunettes carrées, en costume et cravate noirs. J'étais devant son bureau, un peu intimidé. Il tapotait du plat de la main les maigres diplômes que je venais de lui présenter, me posait quelques questions d'ordre général. Il me dit :

- nous sommes en juin, l'activité va considérablement ralentir. Mais revenez me voir en septembre et je vous mettrais au chaud.

Et voilà comment en 1983 je me suis retrouvé à arpenter le plateau des Carpentier, ceux du Grand Échiquier et de Droit de Réponse. Il y avait aussi ce plateau que l'on atteignait en traversant les ateliers de "prémontage", d'où était diffusé en direct ce que l'on appelait "les dramatiques", dans des décors finis parfois quelques minutes seulement avant la prise d'antenne, la peinture à peine sèche. La télévision à cette époque était une forme de service public, financée par l'impôt et de rares pages de publicité. Y entrer c'était la garantie d'un emploi à vie.

Puis vinrent les années 90, les nouvelles chaînes, la privatisation de TFI. Le nouveau marché avait besoin, sinon de talents, de compétences. Ce fut le grand débauchage, l'hémorragie de ce que la télévision publique comptait de meilleurs. L'argent semblait inépuisable. Le nouveau monde offrait des salaires attractifs, une façon de travailler très libérale qui faisait passer la SFP pour une relique archaïque. Les salariés les plus vieux, (55 - 56 ans), furent mis en retraite anticipée avec de généreuses indemnités. Les plus jeunes furent recasés dans ce qui subsistait du service public. Bientôt les studios furent rasés, le terrain libéré livré aux promoteurs. À mon humble niveau, je pris aussi la tangente.

 1995. Mon frère (paix à son âme) est sur les toits du palais de l'Élysée, derrière une caméra. Sa mission : filmer l'arrivée de Jacques Chirac qui vient prendre possession des lieux. Moi, je suis dans les jardins. Il est aux alentours de midi, c'est la pause déjeuner. Je suis seul ou presque, affairé aux derniers réglages de la machine qui filmera d'ici.  

Il existe dans les archives télévisuelles une scène où l'on voit Mitterrand se promener à cette heure avec une personne que je n'ai jamais su identifier. À un moment, il lève la main en direction de quelqu'un. C'est à moi qu'il adresse ce salut.

Quelques mois plus tard je suis à Jarnac.

Le monde entier s'est donné rendez-vous à Jarnac. Les hôtels sont complets, la moindre paillasse sous une comble se loue à prix d'or. Dans le petit cimetière des visages jusqu'alors quasi inconnus font leur apparition. "Une messe est possible". Dans le même temps, à Paris, une messe est dite à Notre-Dame-de-Paris en mémoire du président socialiste.

 Voilà ce que fut ma relation, à la fois lointaine et privilégiée, à M. François Mitterrand, icône très discutable, mais néanmoins estimable, d'une gauche aujourd'hui disparue.

Sans son élection, il est probable que mon destin eût été très différent.

Elle arrose les arbres morts suivi de la burlat du Paki (archive)

 


 

 

 lundi 7 février 2022
Elle arrose les arbres morts


Ma belle, toujours aussi pimpante et guillerette, comme elle l'est du lever au coucher, ouvre d'un geste décidé la fenêtre du balcon, une bouteille d'eau à la main.

- mais... qu'est-ce tu fais ?

- tu le vois bien !

Elle est en train d'arroser le mimosa qui était si beau l'hiver dernier et n'a pas supporté l'été, l'acer du Japon dont on se demande comment il a pu être envahi par ces mauvaises herbes inconnues, qui seules donnent encore un signe de vie, et d'autres plantes encore dont je ne sais plus rien de leur nom, évoquent un jardin à l'abandon.

- mais...

- quoi !...

- mais enfin tu vois bien qu'elles sont mortes ces plantes !

- qu'est-ce que tu en sais ?

Ma belle est d'un naturel optimiste...


jeudi 30 juin 2022
La burlat du paki




Ce soir ma belle, anticipant d'un jour mes soixante et un balais, m'a rapporté du chemin de son retour une barquette de burlat.

La cerise burlat...

Ça peut paraître anecdotique de prime abord, mais cherchez-en autour de chez vous : vous n'en trouverez pas ou alors au prix du caviar.

-  merci mais tu as dû te ruiner !

- pas du tout : je les ai achetées à mon copain pakistanais qui tient son stand sur le trottoir au sortir de mon bureau. Pour presque rien...

Ça m'a laissé rêveur...

Comment fait-il ce paki pour proposer aux passants ce délice de printemps devenu inabordable ? Ce plaisir autrefois si simple et naturel, gratuit ou presque : croquer une cerise sans y laisser la peau des fesses quand arrivent les beaux jours ?

Faire exploser sous ses dents tous les parfums d'une burlat est devenu un luxe qu'un paki propose encore dans les rues de Paris à prix défiant toutes concurrences.

L'immigration a bien ses mystères...

Cannes suivi de chaussures en peau de porc (archive)

 

 


 


mardi 27 février 2018
Cannes



Ils sortaient du Palais. Deux jeunes hommes et deux jeunes femmes, robes de soirée, smoking et nœud-pap de location. Le film qu'ils venaient de visionner s'appelait "Mare Nostrum" ou quelque chose comme ça. Une histoire de migrants rejetés par la mer sur les côtes inhospitalières de la Sicile, aux portes de cette Europe-forteresse dont les dirigeants se livraient à de navrants calculs, à de honteux comptes d’apothicaires sur la répartition du fardeau. Un film bouleversant promis à de nombreuses suites.
- Je suis bouleversée, fit l'une des jeunes femmes en s'asseyant sur une chaise imitation rotin, à la table d'un restaurant qui se trouvait coincé entre un kebab et une crêperie, dont le menu proposait "moules farcies, daube provencale, 17euros ttc.
Un orchestre (ils étaient trois) de roumains nonchalants descendaient la rue, jouant, fort bien d'ailleurs, sur leurs violons, leur accordéon, les notes traînantes, dégoulinantes, sirupeuses du Parrain.
- nous sommes des salauds !
Elle était au bord des larmes. Son voisin, un rien profiteur, lui caressait son épaule dénudée. Les roumains déjà, sur un signal connu d'eux seuls, repartaient vers d'autres tables, vers le Suquet, sans une pièce, sans un regard.
- et nous en France ! Avec un gouvernement socialiste ! Que faisons-nous ?
Un africain de 2m60 (il portait sur sa tête une pile de chapeaux de paille, le festival cette année étant bizarrement très ensoleillé) arriva à leur hauteur. Sur son avant-bras en présentoir il y avait une centaine de lunettes de soleil aux design variés et, surtout, le dernier né de la technologie chinoise : une perche télescopique permettant de faire des selfies mais "de plus loin". Dans l'indifférence générale il se livra à une petite démonstration, peu convaincante il est vrai, puis, d'un pas fatigué, repris son chemin en se demandant ce qui pouvait bien clocher dans son offre, quelle était vraiment la demande. Les blancs décidément étaient incroyablement compliqués.
Le serveur vint à eux. Pensant bien faire elle s'écarta un peu.
- ah non Madame ! Vous ne pouvez pas faire ça !Tables et chaises doivent impérativement ne pas dépasser cette limite.
Il désignait le caniveau central de cette rue étroite. A deux mains elle prit sa chaise, revint d'un mouvement brusque qui fit joliment danser ses seins, dans les limites autorisées par la municipalité. Le serveur déposa alors devant eux quatre cartes plastifiées en précisant :
- nous n'avons plus de daube provencale.
Un roumain débonnaire sorti de nulle part, souriant, ventripotent, portant en bandoulière une sorte de clavecin sur lequel il jouait, fort bien d'ailleurs, les notes traînantes, dégoulinantes, sirupeuses du Parrain s'approchait d'eux. Elle posa violemment ses coudes sur la table, pris sa tête entre ses mains, éclata en sanglots.
Publié par Fredi M. le février 27, 2018

mardi 27 février 2018
Chaussures en peau de porc





Ce matin je cirais mes pompes. "Un rien de Baranne pour dix jours de brillant", l'antique slogan publicitaire me revenait en mémoire. Le cirage de pompes, quand il ne consiste pas à obtenir des faveurs indues par de viles flagorneries, est en quelque sorte un temps de cerveau disponible où nos pensées en font à leur guise. Tout à mon brossage je constatais l’avancée des différents signes d'usure, de fatigue de mes chaussures : craquements profonds comme autant de rides irréversibles, semelles se décollant sournoisement. "Il serait temps d'en changer" me dis-je. Et je me souvins de cet ami qui ne jurait que par la qualité, homme de goût qu'il était et qu'il est toujours, qui me disait : "tu devrais acheter des chaussures en peau de porc. C'est increvable ; elles te feront une vie." Il exagérait bien sûr. Mais je décidais d'aller jeter un œil sur google, voir ce qui se faisait en la matière (c'est le cas de le dire) et à quel prix. Il me fut bien difficile de trouver des sites en proposant à la vente. En revanche il y avait pléthore de liens qui renvoyaient vers des blogs, où de braves gens se posaient des questions existentielles de la plus haute importance. En voici un exemple parmi d'autres :

Salam alikoum,
La question est :

Pour certaines chaussures de ville et certaines basquette, la semelle de celle-ci est faîtes soit en cuir de vachette, soit en cuir de porc.
Or, lorsqu'on marche, on transpire et un peu de la semelle déteint sur la chaussette......or comme le porc est impur, cela annule-t-il la prière?
Si qqn a la réponse..merci de transmettre la source..fatwa, hadith, site etc..
Salam alikoum !

(sic)

Pour mes tatanes haram en peau de porc je crois que je vais procéder autrement ...

Salam alikoum mes frères !

Publié par Fredi M. le février 27, 2018



Le pigot (archive)

 


 

 

 mercredi 15 mars 2023
Le pigot



Si c'est au jeu des ricochets que Brassens était "de première force", moi c'était au lance-pierres, que nous appelions "pigot" dans notre région.

J'en maîtrisais à la perfection la fabrication et le tir. Le tir c'est une affaire de géométrie, de perpendicularité, d'équerrage, de point fictif de visée. La conjugaison de ces trois paramètres n'est pas aussi aisée qu'il n'y paraît. Pour la fabrication je choisissais tantôt une fourche de noisetier, tantôt une fourche d'orme (aujourd'hui disparus). C'est dans ce bois très dur que je fis mon dernier pigot. En montant sur la roche qui est derrière notre maison, je l'avais repéré dans la futaie ce "V" parfait, ni trop écarté ni trop rapproché, au diamètre des branches régulier. Muni d'une petite scie je l'avais découpé grossièrement puis, redescendu, j'avais évalué les proportions, ramené la fourche aux dimensions idéales du pigot. Ensuite, avec mon Opinel, j'avais creusé les entailles dans lesquelles j'irai plus tard fixer, avec de la ficelle de boucher, les extrémités du lanceur, une bande de caoutchouc prélevée dans une vieille chambre à air de vélo.

Le résultat fut magnifique, proche d'une œuvre d'art.   

Très vite je l'essayais, sur des boites de conserves, des canettes vides dont je repoussais, après chaque nouvel impact, l'éloignement de quelques mètres. Il était d'une précision redoutable, faisait ma fierté d'enfant.

En une belle fin de journée d'été, j'étais dans le jardin, parcourant une BD. Délaissant ma lecture, je levais les yeux vers les hirondelles qui piaillaient, se regroupant sur les fils électriques (aujourd'hui enterrés) qui passaient devant notre maison, longeant le muret qui borde la route. Elles étaient encore nombreuses à cette époque, nichant dans les granges, les hangars ouverts à tous les vents. Elles venaient de passer la journée à arpenter les cieux, se racontaient des histoires d'hirondelles avant la nuit, faisaient comme les notes de musique d'une partition sur les câbles. Je me suis levé. Je suis allé chercher le pigot. J'ai tiré sans trop y croire. Elle était si petite... Mais j'ai vu une note de musique décrocher, tomber et disparaître derrière le muret. J'ai passé la porte qui donne sur la rue. Là, aux pieds de liserons sauvages, je l'ai vue. Je l'ai prise dans ma main. Elle était encore chaude, sa tête toute désarticulée, l’œil fermé.

Je suis resté un long moment, incrédule, triste, désemparé.

A partir de ce jour je n'ai plus jamais fabriqué ni tiré au pigot.