lundi 25 mars 2024

La soupe au chocolat (archive)

 


 

 

 samedi 11 mars 2023
La soupe au chocolat

Elle arrivait le plus souvent, et le plus logiquement, vers la fin du mois. Pour ma mère c'était un crève-cœur, pour nous c'était jour de fête, ça nous changeait de la soupe au potiron. Pour elle cela voulait dire que le frigo faisait du froid sur du vide, quand on ne l'avait pas  déjà éteint. Nous étions trop jeunes pour comprendre la signification de la soupe au chocolat. Peut-être mon frère aîné la comprenait-il, lui qui était le seul à ne pas s'en réjouir, à ne pas partager notre joie.

La recette était simple : ma mère versait dans une casserole un reste de lait qu'elle allongeait d'eau. Puis elle récupérait dans la panière tous les vieux croûtons délaissés, si durs qu'elle avait parfois du mal à les briser, les jetait dans la casserole. Elle saupoudrait le tout d'un peu de cacao, et c'était le festin.

Mes parents appartenaient à cette génération pour laquelle terminer dans le rouge, devoir des sous à la banque, aurait été l'humiliation suprême. À la banque ils leur devaient l'emprunt pour la maison. C'était beaucoup mais c'était tout. Pour le reste il fallait faire avec ce que l'on avait.

L'autre jour ma belle et moi avons fait un déjeuner de roi :

Crevettes sauvages d'Alaska, avocats d'Israël et son filet d'huile d'olives, première pression à froid, de Tunisie, salade rougette, œufs pochés au vinaigre balsamique, picodons d'Ardèche, ananas Victoria de la Réunion.

Ça méritait bien un rot de conclusion, que je me suis permis discrètement...

Le soir venu je me suis dit qu'après un tel repas je pouvais faire l'impasse sur le dîner.

Je regardais Darius qui, comme il le fait invariablement depuis un an, nous expliquait encore et encore combien la guerre de Poutine est un contresens historique, combien son armée est naze, archi naze. Ne venait-elle pas encore de perdre pas moins de 130 chars, dans la répétition d'une erreur déjà commise aux premiers jours de la guerre ? Une telle désinvolture avait de quoi surprendre, laisser pantois...

C'est à ce moment là que mon estomac s'est de nouveau manifesté : j'avais faim, une faim dévorante.

Le frigo faisait du froid sur du vide. Un frigo Potemkine en quelque sorte. Ne restait plus que quelques feuilles de salade, une tablette de beurre entamée. Sur la table, un quignon de pain, une banane oubliée qui n'en finissait pas de noircir. J'ai ouvert le quignon de pain, étalé un peu de beurre, écrasé la banane, trouvé un peu de sucre de canne et saupoudrer le tout...

C'était bon comme une soupe au chocolat.


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Mais en gens bien élevés tout de même...