samedi 31 mai 2025

Du temps où j'allais à Cannes




mardi 27 février 2018
Cannes



Ils sortaient du Palais. Deux jeunes hommes et deux jeunes femmes, robes de soirée, smoking et nœud-pap de location. Le film qu'ils venaient de visionner s'appelait "Mare Nostrum" ou quelque chose comme ça. Une histoire de migrants rejetés par la mer sur les côtes inhospitalières de la Sicile, aux portes de cette Europe-forteresse dont les dirigeants se livraient à de navrants calculs, à de honteux comptes d’apothicaires sur la répartition du fardeau. Un film bouleversant promis à de nombreuses suites.
- Je suis bouleversée, fit l'une des jeunes femmes en s'asseyant sur une chaise imitation rotin, à la table d'un restaurant qui se trouvait coincé entre un kebab et une crêperie, dont le menu proposait "moules farcies, daube provencale, 17euros ttc.
Un orchestre (ils étaient trois) de roumains nonchalants descendaient la rue jouant, fort bien d'ailleurs, sur leurs violons, leurs accordéons, les notes traînantes, dégoulinantes, sirupeuses du Parrain. 

- Nous sommes des salauds !
Elle était au bord des larmes. Son voisin, un rien profiteur, lui caressait son épaule dénudée. Les roumains déjà, sur un signal connu d'eux seuls, repartaient vers d'autres tables, vers le Suquet, sans une pièce, sans un regard.

 
- Et nous en France ! Avec un gouvernement socialiste en plus ! Que faisons-nous ?
Un africain de 2m60 (il portait sur sa tête une pile de chapeaux de paille, le festival cette année étant bizarrement très ensoleillé) arriva à leur hauteur. Sur son avant-bras en présentoir, il y avait une centaine de lunettes de soleil aux design variés et, surtout, le dernier-né de la technologie chinoise : une perche télescopique permettant de faire des selfies mais "de plus loin". Dans l'indifférence générale, il se livra à une petite démonstration, peu convaincante il est vrai, puis, d'un pas fatigué, repris son chemin en se demandant ce qui pouvait bien clocher dans son offre, quelle était vraiment la demande. Les blancs décidément étaient incroyablement compliqués.
Le serveur vint à eux. Pensant bien faire, elle s'écarta un peu. 

- Ah non Madame ! Vous ne pouvez pas faire ça ! Tables et chaises doivent impérativement ne pas dépasser cette limite.
Il désignait le caniveau central de cette rue étroite. À deux mains elle prit sa chaise, revint d'un mouvement brusque qui fit joliment danser ses seins, dans les limites autorisées par la municipalité. Le serveur déposa alors devant eux quatre cartes plastifiées en précisant :
- Nous n'avons plus de daube provençale.
Un roumain débonnaire sorti de nulle part, souriant, ventripotent, portant en bandoulière une sorte de clavecin sur lequel il jouait, fort bien d'ailleurs, les notes traînantes, dégoulinantes, sirupeuses du Parrain, s'approchait d'eux. Elle posa violemment ses coudes sur la table, pris sa tête entre ses mains, éclata en sanglots.

 
Publié par Fredi M. le février 27, 2018

La chanson du dimanche

 

 

samedi 3 mai 2025

vendredi 2 mai 2025

À Didier Goux


C'est ce matin, en parcourant les blogs, que j'ai appris avec tristesse la mort d'un homme que je ne connaissais pas autrement que par son blog : Didier Goux.

Je ne sais plus quand exactement j'ai découvert son blog, au début des années 2000 peut-être mais peu importe. Ce dont je me souviens c'est qu'à l'époque je faisais régulièrement, comme aujourd'hui d'ailleurs, ma revue de presse sur Internet. Parcourant le site de Marianne, j'étais arrivé tout en bas à une rubrique qui s'appelait "Les blogs amis" où figurait monsieur Goux, se signalant comme "habitant ici". J'ai cliqué par curiosité, amusé aussi par l'accroche habile. Puis j'ai lu le dernier billet qu'il venait de publier. J'ai lu le précédent et celui qui précédait le précédent... et je suis tombé sous le charme.

À une époque où je me méfiais comme de la peste d'Internet, je l'ai rentré dans mes favoris et, pire que tout, j'ai commencé à commenter, pour le meilleur et pour le pire, son blog. Je crois qu'au début il m'a pris pour un fou et j'en donnais à vrai dire tous les symptômes. La vérité c'est que rien de ce qui relevait de l'informatique, à cette époque, m'inspirait du respect et relevait plutôt pour moi du dérisoire, du futile, de l'inutile. Mais c'est pourtant grâce à lui et à son blog que j'ai pu découvrir des auteurs qui me seraient restés inconnus, tel que Alejo Carpentier pour ne citer que lui.

Avec sa mort c'est un peu de l'esprit français qui meurt aussi, un esprit caustique, ironique, libre et généreux.

Je ne l'ai pas connu, mais il me manque déjà, comme tant d'autres, que la faucheuse, dans un zèle implacable, se plaît autour de moi, de nous, à envoyer aux ténèbres, se plaît à faire un vide immense.

Mes pensées à Catherine.